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DROIT 23 septembre 2024

ASBL politisées : MonASBL.be décrypte la déclaration coup de poing de l’alliance MR – Engagés

Dans les accords de gouvernement de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la majorité MR – Les Engagés s’en prend aux ASBL qui détourneraient de l’argent public pour faire la promotion de partis politiques. Qui est visé par cette déclaration ? Que risquent les associations ? MonASBL.be fait le point.

Financer des ASBL qui roulent pour des partis politiques, c’est fini. C’est en substance le message envoyé par la nouvelle majorité MR - Les Engagés, en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB).

« L’autonomie d’action et de conviction du secteur associatif sera pleinement garantie. Il sera toutefois veillé à ne plus permettre à des ASBL de dévoyer de l’argent public pour des actions de promotion de partis politiques », peut-on lire dans la déclaration de politique régionale (DPR) et la déclaration de politique communautaire (DPC). Conclus en juillet, ces accords de gouvernement fixent les grandes lignes directrices de la prochaine législature.

Un climat de suspicion

Difficile de dire si cette annonce sera suivie d’actions concrètes sur le terrain. Néanmoins, « elle traduit le fait que, du côté du MR, on estime qu'il y a une galaxie socialiste - recouvrant une série d'organisations - qui milite non seulement pour un idéal politique mais qui roule pour le Parti socialiste. Je ne suis pas sûr qu’on partage cela du côté des Engagés, mais on a accepté de le faire figurer dans l'accord de gouvernement », observe Jean Faniel, politologue et directeur général du CRISP.

Cette déclaration fait directement écho aux propos tenus par le président du MR Georges-Louis Bouchez, le 18 juin dernier, à l’encontre du mouvement Présence et Action Culturelles (PAC). Lors d’une concertation organisée par les présidents du MR et des Engagés, le libéral avait accusé les associations comme PAC d’utiliser « l’argent public, l’argent cotisé par tous les citoyens, afin de financer le Parti socialiste » et avait promis de « remettre de l’ordre dans tout cela ».

« Ces accusations sont fausses, on n'utilise pas notre argent pour faire la promotion du PS », clarifie Sarah de Liamchine, directrice de PAC, qui s’inquiète de « l’état d’esprit » dans lequel s’ouvre cette nouvelle législature. « Cet événement semble lié à ce qu’on peut lire dans les déclarations politiques. Et cela laisse penser que certaines associations font la promotion de partis politiques avec les fonds publics. Ce qui à ma connaissance n'est pas le cas, que ce soit chez nous ou chez d'autres », continue-t-elle.

Et d’ajouter : « De mon point de vue, proférer de telles accusations c’est également remettre en question les services de l’Etat qui contrôlent rigoureusement les associations tant sur le fond que sur la gestion administrative. Il est dommage que les partis au pouvoir désavouent de la sorte leur propre fonction publique ».

Des liens historiques

Sur quoi se basent donc les suspicions du MR et de Georges-Louis Bouchez, traduites dans les accords de gouvernement ? Pour le comprendre, il faut faire un voyage dans le temps. Et observer les liens historiques entre les partis politiques et certaines organisations, dont des associations d’éducation permanente.

Comme le rappelle Jean Faniel, en Belgique, « le paysage sociopolitique s'est construit dès la fin du 19e siècle sur la base de trois idéologies principales : libérale, sociale-chrétienne et socialiste ». Puis, dans chacune des trois sphères idéologiques, ont été créés des réseaux d’organisations englobant un parti politique, des syndicats, des mutualités, des organisations féminines, etc. Chaque ensemble d’organisations formant un pilier, on parle alors de « pilarisation de la société belge », explique le politologue.

Encore aujourd’hui, « un ciment idéologique imprègne les différentes organisations d'un même pilier. Par exemple : Soralia, les mutualités socialistes Solidaris, la FGTB et PAC ont un peu le même logiciel d'analyse, avec des valeurs socialistes », continue Jean Faniel.

Un contre-pouvoir indépendant

De là à dire que ces organisations roulent toutes pour un parti ? « En tant qu’analyste, je ne le dirais pas. Ce serait méconnaître la finesse des rapports qu'il y a au sein de chaque organisation et entre les organisations », observe-t-il.

De fait, avec le temps, les relations entre les partis et les organisations ont évolué. « Aujourd'hui, nous [PAC] sommes structurellement indépendants du PS mais idéologiquement proches. Nous sommes deux entités séparées mais, historiquement et idéologiquement, on défend les mêmes valeurs, on lutte pour le même projet de société », explique Sarah de Liamchine.

Si la directrice revendique le positionnement éco-socialiste de l’association, elle souligne également avoir « mené beaucoup de combats qui allaient contre le gouvernement, même quand le PS et Ecolo étaient au pouvoir ». Et donne l’exemple de mobilisations contre des mesures en matière d’immigration, ou encore contre la loi dite « anti-casseurs ».

« Ce rôle de contre-pouvoir est indépendant de notre lien historique avec les partis. Quand ces derniers ne poursuivent pas le projet de société qui est le nôtre, on est tout aussi critique », insiste-t-elle.

Sans compter que « reprocher à une organisation d'éducation permanente de porter un projet politique, c’est lui reprocher de faire ce qu’on attend d’elle. Ce qui montre une méconnaissance du secteur et de son histoire », regrette Sarah de Liamchine.

De plus, ici, Georges-Louis Bouchez s’en prend directement et uniquement à la sphère socialiste. Mais il « semble oublier que du côté libéral il y a aussi un tissu d’organisations. Même si elles sont moins puissantes et moins nombreuses », rappelle de son côté Jean Faniel, faisant référence au syndicat CGSLB ou encore à l’association d’éducation permanent Âgo.

Quels risques pour les ASBL ?

Au-delà du discours « très offensif » de Georges-Louis Bouchez à l’égard du monde socialiste, « la question est de savoir si cette proclamation se traduira en actes. Mon impression, c'est que ce ne sera pas nécessairement le cas. Même si ce ne sera pas tout rose pour les associations », observe Jean Faniel.

Une attaque frontale à l’égard du « secteur de l'éducation permanente en termes de moyens alloués pourrait retomber y compris sur le Mouvement ouvrier chrétien (MOC) ou encore sur Âgo », des organisations historiquement liées, respectivement, aux piliers chrétien et libéral, analyse le politologue.

De plus, comme le souligne Jean Faniel, il est difficile d’imaginer qu’en Wallonie et en FWB, les gouvernements s’en prennent à certaines associations - comme PAC - mais pas aux autres. Résultat : soit c’est préoccupant pour toutes les ASBL, tous secteurs confondus, soit ce n’est inquiétant pour personne car ce serait trop difficile de s’attaquer à tout le monde. D’autant que « malgré leur transformation, Les Engagés gardent un fort attachement au monde associatif », souligne le politologue.

Ainsi, cette phrase insérée dans les déclarations politiques serait plutôt le fruit d’un compromis entre les deux partis de la majorité. « Si l’on regarde d’abord la proclamation, puis le contenu du chapitre éducation permanente, mon sentiment c'est que le MR a voulu marquer le coup et a obtenu la première, et Les Engagés se sont plutôt chargés de rédiger l'autre », observe-t-il.

Un constat partagé par Sarah de Liamchine, qui dit faire « la part des choses entre les deux partis francophones de la majorité qui se met en place ».

A ce stade, elle n’y voit pas de tour de vis pour les ASBL. « Concernant l'éducation permanente, la déclaration n’ajoute rien à ce qui est prévu. Et quant à cette phrase qu'on retrouve à la fois dans la DPR et dans la DPC, j'ai plus l'impression qu'on est dans du discours idéologique. Concrètement, on ne sait pas comment ils vont agir, ils ne disent rien », dit-elle avant de conclure : « Ce type de phrase ne renvoie pas une image très positive des secteurs comme les nôtres, et c'est dommage d'entamer une législature là-dessus ».

Caroline Bordecq