Cela fait maintenant plus de cent ans que l’ASBL Eqla agit avec et pour les personnes aveugles et malvoyantes, grâce à différents services de proximité tels que : l’accompagnement des jeunes avec la transcription de leurs cours, une bibliothèque et une ludothèque. Aujourd’hui, une quarantaine de travailleur-euses assure les activités en Wallonie et à Bruxelles.
À quelques mois des prochaines élections fédérales et régionales, MonASBL.be s’est entretenu avec Bénédicte Frippiat, directrice de l’association.
"Les ASBL sont censées être innovantes tout le temps mais on n'est jamais sûr des montants qu'on recevra"
MonASBL.be : Quel est le principal enjeu auquel doit faire face votre ASBL en matière de gestion ?
Bénédicte Frippiat : Comme pour beaucoup d’ASBL, le plus compliqué chez nous c’est l’aspect aléatoire des financements. C’est très lourd.
L’association est subsidiée par l’Aviq en Wallonie, seulement pour certaines activités ; par le Service Phare à Bruxelles pour l’accompagnement scolaire ; par la Fédération Wallonie-Bruxelles pour la bibliothèque ; et reçoit quelques subsides Cocof pour la ludothèque. Nous devons jongler avec tous ces subsides, sachant qu’ils ne couvrent pas tous les frais. Par exemple, pour l’accompagnement scolaire en Wallonie, cela couvre un salaire sur les quatre et demi que nous avons. Le reste, c'est sur des fonds propres.
C’est compliqué de gérer une association avec 60% des revenus aléatoires, issus des legs, des dons et des appels à projets. Comme on existe depuis 100 ans, on sait qu’il y a des bonnes et des moins bonnes années et qu’on pourra toujours s’en sortir, mais ça reste très inconfortable car mes frais fixes sont toujours là.
C’est un problème difficile à résoudre car, en tant qu’ASBL, on ne sait pas faire payer les services aux bénéficiaires à la valeur de ce que cela nous coûte.
MonASBL.be : Parvenez-vous à obtenir des subsides supplémentaires ?
Bénédicte Frippiat : Dès qu’il y a des appels à projets, on essaie de rentrer des dossiers. Mais c’est compliqué parce qu’ils financent soit des choses très innovantes – donc on innove mais on ne parvient pas à maintenir le structurel – soit du matériel et pas des salaires.
Alors je dis toujours : c‘est super chouette j’ai une magnifique ludothèque mais si je ne sais plus payer mes ludothécaires ça ne sert à rien. Le plus important pour notre public c’est d’avoir le service et la personne qui puisse les aider.
Les ASBL sont censées être innovantes tout le temps mais parallèlement on n’est jamais sûr des montants qu’on recevra à la fin de l’année. Par exemple : si je rentre un dossier en septembre pour savoir si un enfant a droit aux transcriptions, je reçois parfois la réponse en mars. Pendant ce temps, on a déjà fait les transcriptions scolaires à l’élève qui en a besoin. Il y a des subsides qu’on reçoit parfois deux ans après.
"Il faut plus de cohérence et une meilleure connaissance du terrain"
MonASBL.be : Qu’est-ce que vous attendez des législations à venir ?
Bénédicte Frippiat : J’aimerais qu’on subsidie notre ASBL correctement. Les pouvoirs publics nous demandent de faire toujours davantage mais les subsides n’augmentent pas.
Aussi, il faut plus de cohérence et une meilleure connaissance du terrain. Le Service Phare (à Bruxelles) et l’Aviq (en Wallonie) sont censés subsidier plus ou moins la même chose mais leur fonctionnement est très différent. Par exemple, en Wallonie c’est en fonction des heures d’accompagnement et à Bruxelles on subsidie un salaire. Non seulement ce n’est pas la même chose administrativement – et on s’en accommode – mais, surtout, les droits des personnes ne sont pas les mêmes.
MonASBL.be : C'est-à-dire ?
Bénédicte Frippiat : Tou.te.s nos travailleur-euses sont sous la même commission paritaire mais ne sont pas logé.e.s à la même enseigne. L’an passé, pour compenser la hausse des prix énergétiques, Bruxelles a décidé d’octroyer une prime de fin d’année pour ses travailleur-euses, alors qu’en Wallonie c’était un écochèque. Les deux avec des valeurs complètement différentes. Comment vous l’expliquez à vos travailleur-euses ?
On n’arrête pas de parler de simplification administrative mais plus on avance plus c’est compliqué.
Aussi, on a un peu l’impression que dès qu’il y a un petit subside on le jette à la tête des gens et on voit qui va mordre. Il y a des tas d’ASBL qui existent depuis des années, qui font du bon travail et on crée de nouvelles petites ASBL dans les mêmes secteurs plutôt que d’essayer de se coordonner.
Je vous donne un exemple : il y a trois bibliothèques spéciales dans la partie francophone du pays, dont on fait partie, qui sont toutes subsidiées. Si l’une des bibliothèques est financée pour faire un livre adapté on ne nous impose pas de l’échanger et de l’avoir toutes les trois. Résultat : il y a un gaspillage financier ridicule, selon moi.
Le problème étant que les politiques ne connaissent pas le terrain. Nous sommes une bibliothèque spéciale mais nous collons au règlement d’une bibliothèque publique alors qu’on n’a pas la même réalité. Les décisions sont prises par des gens qui ne savent même pas de quoi on parle.
Récemment, l’Aviq a changé son fonctionnement sur la manière de subsidier les transcriptions scolaires. Personne ne sait sur quoi ils se sont basés et c’est complètement incohérent.
"On est toujours concerté quand les choses sont presque finies"
MonASBL.be : Souhaiteriez-vous donc avoir plus de concertation avec les politiques ?
Bénédicte Frippiat : Oui, mais à la base des projets. On est toujours concerté quand les choses sont presque finies.
J’ai commencé à travailler chez Eqla il y a presque 20 ans et, à l’époque, je suis allée voir le responsable de cabinet pour lui dire que la politique des transcriptions n’était pas cohérente, qu’il fallait se mettre autour de la table et il m’a promis un groupe de travail. Depuis, je suis allée voir chaque politique qui a suivi et nous n’avons jamais eu de groupe de travail. On reçoit toujours une somme qui n’a aucun sens par rapport à ce qu’on fait.
Je vous donne un autre exemple : avec les accords Non-Marchand à Bruxelles chaque travailleur-euse a droit à un abonnement Stib. Pour coller à la réalité administrative, je dois déclarer dans un tableau tous les travailleur-euses qui sont dans mon payroll mais seulement trois seront subsidié.es [la mesure divise les travailleur-euses par « scope » et couvre uniquement les abonnements de celles et ceux répondant à certaines conditions, NDLR]. Je devrai donc payer l’abonnement Stib pour les 28 autres travailleur-euses qui n’entrent pas dans les scops alors qu’ils/elles ne vont même pas l’utiliser, car la plupart du temps ils/elles se déplacent en voiture pour transporter le matériel. Je comprends la volonté de favoriser la mobilité mais, une fois de plus, ils n’ont pas connaissance de notre terrain.
MonASBL.be : Quelle mesure devrait être absolument prise pour permettre à votre ASBL de perdurer ?
Bénédicte Frippiat : J’y reviens encore mais je dirais de la cohérence dans les subsides. Selon moi, ça n’a pas de sens de devoir courir derrière un subside APE, un subside Maribel, un subside ACS... On passe notre temps à saucissonner les choses. Vous n’imaginez pas le nombre de documents que je signe à la fin de chaque mois. Je trouve ça ridicule.
Une politique plus simple et coordonnée permettrait de gagner du temps au niveau de la gestion.
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Chez Eqla, la gestion repose sur trois personnes car j’essaie de mettre le plus possible l’argent qu’on nous donne vers le terrain et le public. Mais un moment donné je vais devoir engager une nouvelle personne à la comptabilité car pour ma collègue qui s’occupe de la gestion comptable de l’ASBL – qui n’est déjà pas toute simple – ça devient un casse-tête tous les mois en termes de justification de subsides et de cadastres à remplir, où les travailleur-euses se retrouvent deux heures par-ci, trois heures par-là. Avec des contrôles qui se font parfois trois ans après.
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