Notre série "Les ASBL face au Covid" :
- "S’appuyer sur les subsides et travailler autrement"
- "Contrebalancer la lourdeur et la morosité de l’épidémie"
- "Mettre les chiens sur pause ? Impossible"
- "Notre nom est Convivial : ce n’est pas pour rien"
Fondé en 2018, L’Improviste est le premier théâtre de Belgique consacré à l’improvisation. L’équipe bruxelloise jongle toute l’année entre représentations et formations pour partager et transmettre son art. Malgré l’absence d’aides d’urgences, Patrick Spadrille, fondateur et co-directeur de l’ASBL poursuit ses efforts pour sauver l’institution non subsidiée. Comédiens en télétravail, représentations à distance... Tout est bon pour réinventer le spectacle vivant et s’adapter à la crise sanitaire.
Amener le spectacle vivant en ligne
MonASBL : La crise oblige les lieux culturels à fermer et à s’adapter. Comment gérez-vous cette situation difficile ?
Patrick Spadrille : C’est très compliqué. Si on ne joue pas nos spectacles, on n'a aucune rentrée financière. On a donc développé des spectacles en ligne. Les gens regardent en direct depuis leur ordinateur, leur tablette, ou leur téléphone. C’est la seule activité que l’on a réussi à trouver pour conserver un minimum de rentrées financières. Malheureusement, ça reste moindre par rapport à d’habitude, surtout qu’on a toujours des frais fixes à payer...
MonASBL : En mars, vous avez lancé les spectacles en ligne “Visio” et “On ne va pas se mentir”...
Patrick Spadrille : Oui, on a commencé ces spectacles pendant le premier confinement. Quelques jours après l’annonce du gouvernement, on a décidé de s’adapter ainsi. Ça s’est très bien passé. Beaucoup de gens nous ont suivi pendant le premier confinement. Nos spectacles étaient complets. Les spectateurs adorent le concept : ils voient quelque chose auquel ils n’ont pas accès d’habitude. C’est un évènement qu’on ne verra plus jamais après le coronavirus. Ça change également de Netflix ou de YouTube puisque ce n’est pas enregistré. Les comédiens jouent ici et maintenant, et c’est ce qui rend le spectacle spécial !
MonASBL : L’ambiance en distanciel est-elle la même qu’en présentiel ? Aussi chaleureuse et vivante que quand on va au théâtre ?
Patrick Spadrille : Le public peut proposer des choses. Il participe au spectacle par écrit, via le chat. Il y a donc une réelle impression de spectacle vivant. Même si les théâtres sont fermés, les spectateurs peuvent retrouver la culture vivante. Ils sont d’ailleurs très heureux de retrouver ça.
MonASBL : Être comédien en télétravail, cela ne doit pas être simple...
Patrick Spadrille : C’est même très compliqué. Nous, on est avant tout comédien sur scène. Habituellement, on a un retour d’un public. Ça influe énormément sur la manière dont on joue. Ici, on ne l’a pas. On sait qu’ils sont là, on a entendu leurs propositions au début. Mais une fois que le spectacle commence, on est dans un cadre très particulier : on est chacun seul devant un ordinateur, chez soi. C’est assez déconcertant puisque ça change tous les repères habituels. Mais ce côté déconcertant est aussi très intéressant. Il crée d’autres outils. Par exemple, on peut se servir de la caméra. Tout d’un coup, on peut faire un gros plan alors que c’est inimaginable au théâtre ! On est aussi dans un vrai décor, ce qui n’est pas non plus le cas sur scène. D’habitude, c’est généralement un fond noir. Chez nous, on peut donc se déplacer dans le décor ou avoir des accessoires.
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“On avait besoin de cet argent pour survivre”
MonASBL : Proposer des spectacles payants en ligne est quelque chose de très novateur, communiquer dessus ne doit pas être évident... Comment gérez-vous cet aspect ?
Patrick Spadrille : Au début, nos spectacles en ligne étaient accessibles à tout le monde. Les spectateurs étaient invités à faire un don à la fin de la représentation dans un chapeau virtuel. On les incitait à aller sur la billetterie et à donner ce qu’ils estimaient convenables pour avoir vu le spectacle. Hélas, on s’est rendu compte que ce n’était pas très rentable... Sur dix personnes qui assistaient au spectacle, seule une payait sa place. Ce n’était plus possible. Les spectateurs devaient se rendre compte qu’on exerçait notre métier, qu’on avait besoin de cet argent pour survivre. On a donc changé la donne. Pour ce deuxième confinement, les spectateurs doivent maintenant prendre leur billet à l’avance. Ensuite, ils reçoivent un lien pour accéder au spectacle.
MonASBL : Le public est-il au rendez-vous ?
Patrick Spadrille : On teste cette formule depuis deux semaines, mais le public nous suit quand même. Ça change un peu, mais ce n’est pas plus mal. Maintenant, on est aussi sûr qu’ils ne viennent pas juste parce que c’est gratuit. Ils viennent parce qu’ils veulent voir un spectacle en ligne.
MonASBL : Après le premier confinement, les théâtres ont pu de nouveau reprendre leurs spectacles sur scène...
Patrick Spadrille : Effectivement, dès qu’on a pu rouvrir en juillet, on a joué nos spectacles. Même avant le coronavirus, on avait prévu une saison d’été. On a donc joué deux spectacles tous les samedis jusqu’à fin septembre. Début octobre, du mercredi au dimanche, on a pu lancer le début de notre nouvelle saison. Malheureusement, elle s’est très vite arrêtée... D’abord, il a fallu rajouter de la distanciation entre les gens, puis il a fallu condamner le bas... On nous coupait les ailes. Et puis fin octobre, l’amputation a été totale : on nous a dit “c’est fini”. C’est encore pire...
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“Lâche prise, mais reste à 1m50 !”
MonASBL : En temps normal, vous donnez également des formations d’improvisation. Les adapter n’a pas dû être simple...
Patrick Spadrille : C’était très compliquée. Il fallait déjà réussir à gérer la distanciation sociale. Mais l’improvisation se constitue avant tout de relations humaines qui passent par le contact physique. C’est donc difficile de trouver du sens dans la distanciation sociale. Certaines personnes voulaient aussi porter le masque, ce qui est tout à fait compréhensible. Mais de fait, on ne voyait plus l’expression de son partenaire. Alors... Que restait-t-il à jouer ?
MonASBL : Vous avez repris à tous les niveaux ?
Patrick Spadrille : Non, uniquement les formations d’improvisateurs. On a arrêté les initiations. Se lancer dans l’improvisation est déjà un grand saut dans le vide : ça demande un énorme lâcher- prise. C’est difficile de dire à l’élève “lâche prise, mais reste à 1m50 !”. Se libérer tout en faisant attention est assez antinomique. On a donc laissé tomber l’initiation. Par contre, on a continué l’improvisation pour les comédiens ayant déjà cette assurance.
MonASBL : Avec ce deuxième confinement, avez-vous pensé à les proposer en ligne ?
Patrick Spadrille : On en a beaucoup discuté, mais c’est très compliqué. Certains théâtres le font, d’autres ne le font pas. Nous, on a décidé de ne pas le faire. On estime que c’est trop loin de notre formule habituelle. Ça aurait éventuellement eu un sens de former des improvisateurs à faire des spectacles en ligne... Mais par la suite, quand la crise sera terminée, ce n’est pas quelque chose que l’on va garder. On ne voit donc pas l’intérêt de former des improvisateurs à une technique que peu de comédiens ont envie d’exercer.
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Théâtre non subsidié : “On a le droit d’être sauvé”
MonASBL : La crise sanitaire a un grand impact sur les lieux culturels...
Patrick Spadrille : Oui, la crise nous touche très fortement. On ne peut absolument pas bénéficier des aides du ministère de la Culture car nous ne sommes pas subventionnés.
MonASBL : Vous avez peur pour la survie de L’Improviste ?
Patrick Spadrille : Pour L’Improviste mais aussi pour de nombreux théâtres. Tous les lieux non subsidiés sont les vilains petits canards de la culture aux yeux du ministère. Ils continuent de dire qu’ils sont au courant de la situation, qu’il faut faire quelque chose, qu’ils travaillent dessus... Quand j’ai posé la question il y a quelques mois, ils m’ont déjà dit ça. Huit mois après, il ne se passe toujours rien. On a dû mal à croire qu’ils s’occupent vraiment de nous.
MonASBL : Êtes-vous en contact direct avec le cabinet ?
Patrick Spadrille : Oui, j’ai encore échangé cette semaine avec eux. Ils nous envoient balader. Ils continuent de nous dire “Vous n’êtes pas subventionnés, vous n’avez donc pas besoin d’aides”. Tous les jours, on alerte sur notre situation : sur Facebook, dans la presse... Mais régulièrement, on voit aussi des articles qui annoncent des nouveaux financements pour la culture. Il faut bien comprendre que ça ne concerne pas toute la culture : c’est la culture subventionnée. Ils aident un peu plus ceux qui ont déjà des sous. Mais ceux qui ont, à la base, une gestion économique qui ne dépend pas de l’Etat pour apporter la culture, ils les laissent mourir. C’est une injustice totale. C’est illogique. Ce n’est pas parce qu’on ne dépend pas de l’Etat que l’on n’a pas le droit d’être sauvé !
MonASBL : Sans subsides publics, le financement alternatif pourrait être une solution...
Patrick Spadrille : Oui, on lancera peut-être un crowdfunding. On l’a déjà fait il y a deux ans pour la création du théâtre. Si on est au bout du rouleau, on le fera peut-être. Mais pourquoi le citoyen devrait-il endosser le rôle de l’État ? Pourquoi serait-ce à lui de nous sauver ? Pourquoi aider l’Horeca mais pas la culture non subsidiée ? Un restaurant ne demande pas à ses clients de le sauver... On considère que c’est à l’État de le faire. Après tout, et à raison bien sûr, c’est l’État qui impose un protocole sanitaire. C’est donc normal qu’il le compense par une aide. Je ne vois pas en quoi le caractère de reconnaissance d’un lieu culturel a le moindre rapport avec le fait de le sauver un théâtre. Si le protocole sanitaire n’était imposé qu’aux lieux culturels subsidiés, je comprendrais. Cependant, il est obligatoire pour tout le monde. Il n’y a donc pas de raison que ça change ce que l’on demande ou ce que l’on reçoit. Le crowdfunding me paraîtrait donc anormal. Malheureusement, si on doit en arriver là, on le fera...
MonASBL : Quel est donc le besoin le plus urgent pour l’Improviste ?
Patrick Spadrille : Contrairement à ce que l’on pourrait croire, on ne tient pas forcément à être reconnu. On tient à être aidé. On assume le fait d’être un théâtre indépendant, on ne cherche pas à dépendre de l’État. C’est un choix noble : pourquoi un lieu culturel devrait-il obligatoirement dépendre de l’État ? Le fait de trouver un modèle économique qui fonctionne sans son aide devrait être encouragé. Mais plutôt que de nous inciter à ne pas coûter de l’argent, on nous punit. C’est un non-sens.