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FINANCEMENT 4 septembre 2024

Où en est l’implémentation de l’IFIC à Bruxelles ? MonASBL.be a mené l’enquête

Depuis 2023, la classification de fonctions IFIC est appliquée dans tout le secteur privé de la santé à Bruxelles. Un objectif prévu dans l’accord non-marchand 2021-2024. Qu’est-ce que cela implique sur le terrain ? A quoi faut-il s’attendre après le changement de gouvernement ? MonASBL.be a mené l’enquête.

À Bruxelles, comme partout en Belgique, les métiers de la santé font face à une forte pénurie. Résultat : la concurrence entre les secteurs et les régions est accrue. Pour éviter la fuite des professionnel.le.s de la santé vers les institutions ou régions plus rémunératrices, il existe une solution : proposer les mêmes salaires partout.

C’est dans cette optique que l’accord non-marchand bruxellois 2021-2024 a fixé comme objectif d’harmoniser les classifications de fonctions de différents secteurs du Non-Marchand. Les classifications de fonctions sont des méthodes d’analyse et d’évaluation des fonctions servant ensuite de base pour déterminer les salaires des travailleur.euse.s.

Plus spécifiquement, l’accord bruxellois tripartite s’était donné une priorité : l’implémentation de la classification IFIC, à 100%, dans le secteur privé de la santé. Depuis 2023, c’est mission accomplie. Cette classification est appliquée dans tout le secteur privé bruxellois de la santé, mais aussi au niveau fédéral et wallon. De quoi parle-t-on exactement ? Qui est concerné à Bruxelles ? Et quel rôle aura à jouer le nouveau gouvernement bruxellois ?

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Classification IFIC : de quoi parle-t-on ?

Une classification spécifique pour le Non-Marchand...

Au début des années 2000, les partenaires sociaux du Non-Marchand fondent l’ASBL IFIC avec pour mission d'établir une classification de fonctions analytique spécifique pour les secteurs des soins de santé. En effet, « les autres méthodes de classification déjà existantes étaient peu adaptées pour le Non-Marchand. Elles ne prenaient pas en compte les spécificités du secteur, notamment une série de difficultés liées à la pénibilité », assure Sébastien Robeet, secrétaire national Non-Marchand au sein de la CNE.

Ainsi, par exemple, l’exposition à la mort ou à la souffrance est un élément pris en compte dans le système de pondération de la classification IFIC. « Cela n’existe pas ailleurs et pourtant cela fait une vraie différence dans la charge de travail et dans la pénibilité ressentie et vécue », continue le syndicaliste.

...basée sur le vécu des travailleur.euse.s

Autre particularité de la classification IFIC : elle « n’est pas théorique, elle va au-delà des diplômes et se base sur le vécu réel des travailleur.euse.s. C’est-à-dire ce qu’ils et elles font (leurs tâches, leurs responsabilités, etc.) », explique Sébastien Robeet.

Un processus en quatre étapes

Dans la pratique, la classification IFIC se base sur « un processus très défini », précise Stéphanie Matte, directrice de l’ASBL IFIC, qui s’occupe encore aujourd’hui de son implémentation.

Ce processus se déroule en trois étapes, à chaque fois validées par les partenaires sociaux (syndicats de travailleur.euse.s et représentant.e.s d’employeurs).

Première phase : l’inventaire

Dans cette étape, l’ASBL demande aux organisations de terrain d’indiquer les différentes fonctions présentes au sein de leurs institutions et le nombre d’ETP (équivalents temps plein) concernés. A partir de là, une liste de fonctions-clés est dressée. « C’est un travail qui a été fait il y a déjà plusieurs années dans le secteur de la santé », à tous les niveaux de pouvoir, précise Stéphanie Matte.

Deuxième phase : les enquêtes

L’ASBL IFIC va à la rencontre des professionnel.le.s sur le terrain. « On essaie de comprendre les tâches qu’ils/elles exercent et leurs activités, puis on confronte ces informations avec celles de leur N+1. Le but est de rédiger une description de fonction basée sur les tâches et responsabilités des travailleur.euse.s », pointe la directrice.

Les descriptions sont rédigées par l’ASBL IFIC et discutées au sein d’un groupe technique, composé d’experts en classification mandatés par des organisations syndicales et patronales. « Ce sont des gens de terrain qui connaissent les fonctions et qui peuvent donner un aiguillage », continue-t-elle.

Troisième phase : la pondération

Pour chacune des fonctions, un comité de pondération, composé d’experts désignés par les organisations patronales et les syndicats, est chargé de peser les fonctions en leur attribuant un score pour chacun des six critères prévus dans le système :

  • la connaissance et le savoir-faire (au-delà de ce qui a été appris en formation) ;
  • la gestion d’équipe (diriger ou superviser des collaborateur.trice.s) ;
  • la communication (par exemple, l’empathie nécessaire avec les patient.e.s) ;
  • la résolution de problèmes (par exemple, le degré de difficulté des problèmes que les travailleur.euse.s doivent résoudre) ;
  • la responsabilité (par exemple, l’impact sur la santé des patient.e.s mais aussi financier, ou encore sur le travail des autres) ;
  • les facteurs d’environnement (par exemple, devoir porter de lourdes charges, se trouver en contact avec la mort, la maladie, la souffrance).

Le résultat de la pondération détermine ainsi la position de la fonction dans l’échelle de classement. Cet ordre doit ensuite être traduit par les partenaires sociaux sur le plan pécuniaire.

La classification IFIC est un modèle où l’on compare les fonctions par rapport aux autres. « Par exemple, sur le critère de responsabilité, une infirmière a un score plus élevé qu’une aide-soignante », illustre Stéphanie Matte.

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Où en est l’implémentation ?

La crise du Covid – qui a mis en lumière le travail des professionnel.le.s dans le monde de la santé – a accéléré l’implémentation de la classification IFIC dans ce secteur. Plus précisément, elle est implantée au niveau :

  • Fédéral privé et public : hôpitaux généraux et psychiatriques ; hôpitaux publics ; centres de psychiatrie légale ; soins infirmiers à domicile ; centres de revalidation fédéraux ; maisons médicales ; services du sang de la Croix-Rouge.
  • Wallon privé et public : maisons de repos/maisons de repos et de soins (MR/MRS) ; maisons de soins psychiatriques ; initiatives d’habitation protégée ; hôpitaux et conventions de revalidation.
  • Flamand privé et public : MR/MRS ; maisons de soins psychiatriques ; initiatives d’habitation protégé ; hôpitaux et conventions de revalidation.
  • Bruxellois privé : MR/MRS ; maisons de soins psychiatriques ; initiatives d’habitation protégé ; hôpitaux et conventions de revalidation.

De son côté, le secteur public bruxellois a décidé de ne pas basculer vers le système IFIC, qui était moins intéressant après la récente revalorisation barémique dans la fonction publique bruxelloise.

À noter : les travailleur.euse.s déjà en fonction ont toujours le choix de passer au nouveau barème lié au système IFIC ou de maintenir celui déjà en place.

L’entretien des fonctions

L’IFIC étant un « système dynamique », il est toujours amené à être modifié, explique Sébastien Robeet. Ainsi, au fil du temps, des fonctions manquantes dans le tapis sectoriel peuvent être décrites pour le compléter.

Aussi, même une fois classifiées, les fonctions évoluent et « leur description n’est pas gravée dans le marbre », continue le syndicaliste. Si bien que chaque année, « 10% du tapis des fonctions est prévu à l’entretien, soit une vingtaine de fonctions qui sont investiguées par an », précise à son tour Stéphanie Matte. Concrètement, cela signifie que l’ASBL IFIC retourne sur le terrain pour effectuer une enquête et modifier la description si besoin.

Comment sont définies les fonctions à entretenir ? D’abord lorsque la fonction a été au cœur d’une modification législative. Dans ce cas, l’ASBL ne part pas tout de suite sur le terrain « car il faut attendre que le changement législatif ait été mis en place pour évaluer son impact », explique Stéphanie Matte.

L’autre déclencheur : lorsqu’il y a une demande du terrain à travers les syndicats et les représentants patronaux.

Une fois les entretiens réalisés, plusieurs conséquences sont possibles :

  • la description de la fonction est adaptée mais cela n'a pas d'effet sur la catégorie de la fonction ;
  • la fonction entretenue et adaptée augmente de catégorie suite à l’entretien. Dans ce cas, les partenaires sociaux doivent s’assurer avant d'implémenter le changement que le surcoût lié sera bien pris en charge par les autorités concernées. Une fois le changement implémenté, il s’applique automatiquement à tou.te.s les travailleur.euse.s qui bénéficient déjà du barème IFIC. Et les autres ont également la possibilité d’opter pour l’IFIC ;
  • la fonction entretenue et adaptée s'accompagne d'un changement de catégorie à la baisse. Dans ce cas, le nouveau barème diminué ne s’applique qu’aux nouveaux.elle.s travailleur.euse.s. Par le principe des droits acquis, celles et ceux qui s’étaient vu.e.s attribuer cette fonction avant l’entretien conservent le barème IFIC de la fonction avant entretien.

À ce jour, « seulement deux entretiens ont abouti à un changement de catégorie salariale : les secrétaires médicales et les aides-soignantes », précise Sébastien Robeet.

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Le cas des aides-soignantes

La révision de la fonction des aides-soignantes (dont la description datait de 2014) est par ailleurs significative. On parle d’environ 40.000 ETP concernés dans le pays. Résultat : le basculement à un barème supérieur coûterait près de 200 millions euros, divisés entre le fédéral et les régions.

Des budgets bloqués

Du côté des employeurs, pas question d’absorber cet impact financier et ils réclament un financement public. Problème : la révision de la fonction des aides-soignantes s’est terminée en 2023. À ce moment-là, « on s’est retrouvé avec des budgets clôturés et des gouvernements en fin de législature qui ne pouvaient pas faire de grandes modifications sur les enveloppes existantes et la plupart a renvoyé la question à la prochaine législature », relate Sébastien Robeet.

Au niveau wallon, la situation s’est en partie débloquée. La Région a accepté de financer 100% du barème des secrétaires médicales (qui sont peu nombreuses) et 25% de la différence entre la catégorie de départ (catégorie 11) et d’arrivée (catégorie 12) pour les aides-soignantes. « Nous venons de signer un barème 11+ en commission paritaire, qui pourra être payé au 1er juillet 2024 en région wallonne », assure le syndicaliste.

« Si le prochain gouvernement bruxellois ne répond pas il y aura des manifestations sous les fenêtres »

À Bruxelles, la situation passe entre les mains du prochain gouvernement. La CNE compte bien mettre le sujet sur la table « mais la situation budgétaire de la région, Cocom, et Cocof est un peu exsangue donc ça va être difficile », admet Sébastien Robeet. Et de continuer : « Tout le monde savait que le système IFIC était un système dynamique, et que ces effets-là étaient possibles, mais on ne savait pas que ces entretiens arriveraient avec un tel impact. Et surtout c’est arrivé dans un temps politique [la fin de législature et de budget, ndlr] qui ne permet pas de se retourner ».

Certes, la région n’a aucune obligation à faire basculer les aides-soignantes dans la nouvelle catégorie mais « selon nous, l’ensemble des partis politiques ont pris un engagement moral pendant la campagne électorale de mettre en œuvre ces entretiens, avec plus ou moins de précautions oratoires », souligne Sébastien Robeet.

« Si le prochain gouvernement ne répond pas, il y aura des manifestations sous les fenêtres des cabinets », confie-t-on du côté de l’ancien cabinet d’Alain Maron, ministre sortant de l’Action sociale et de la Santé, et Barbara Trachte, ministre-présidente sortante de la Cocof. Ici, on parle de « sidération » à la vue de l’enveloppe demandée. Pour éviter de telles surprises dans le futur, « il faut une meilleure représentation des gouvernements à l’intérieur de l’IFIC et des mécanismes de mise à jour », prône le cabinet.

Une revalorisation salariale qui n’est pas automatique

Toutefois, du côté du syndicat et de l’ASBL IFIC, on tempère : « Le cas des aides-soignantes est exceptionnel », assure Sébastien Robeet. « Avec les entretiens, les gens s’attendent d’office à une revalorisation mais la plupart du temps les fonctions ne changent pas de catégorie salariale », renchérit Stéphanie Matte. D’ailleurs la directrice insiste : le but de la classification IFIC et des entretiens n’est pas de revaloriser les salaires, mais « de maintenir une classification qui soit à jour et reconnaissable par les acteurs », dit-elle.

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Et maintenant ?

Alors qu’on attend encore de voir comment se positionnera le prochain gouvernement bruxellois sur la question des aides-soignantes, la classification IFIC continue son implémentation dans le Non-Marchand bruxellois.

Les autres secteurs à venir

À ce jour, l’accord non-marchand bruxellois 2021-2024 a deux autres groupes de fonctions dans son viseur :

  • Le groupe 2 : la CP318 (l’aide familiale et aux séniors) ; la CP 332 (aide sociale et soins de santé) ; et les autres fonctions de la CP330 pour lesquelles la classification n’a pas été implantée. « Ce sont des profils qui peuvent être concurrent avec les profils de la santé, l’idée est donc d’avoir une harmonisation et de tendre le plus possible vers le même modèle salarial que celui appliqué aux soins de santé », explique la directrice de l’ASBL IFIC.

Pour ce groupe, une phase test a été réalisée pour l’application de la classification IFIC, les résultats sont en cours de finalisation.

  • Le groupe 3 : les secteurs du socioculturel ; les entreprises de travail adapté ; et les services d’éducation et d’hébergement (CP 329, 327 et 319). Pour ce groupe, une étude de faisabilité a été réalisée mais « l’idée n’est pas d’avancer vers le modèle IFIC à ce stade », continue Stéphanie Matte.

Les prochains entretiens

Enfin, il faut s’attendre à de nouveaux entretiens de fonctions. L’un des gros morceaux sera sans aucun doute celle des infirmières, notamment après la réforme lancée par le ministre fédéral de la santé sortant Frank Vandenbroucke. Mais tout reste encore suspendu aux décisions du prochain gouvernement fédéral.

Caroline Bordecq