Au-delà du danger que représentent ces opérations pour le principe même de la sécurité sociale, un des socles de notre démocratie, de telles opérations, qui ont également, voire prioritairement, pour but de faire de l’audimat, donnent dans la surenchère au niveau de la mise en scène de ce qu’elles prétendent contribuer à endiguer : la misère, la pauvreté infantile, etc. En termes de dignité humaine, on repassera.
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La sécurité sociale en danger
Il fut un temps, la solidarité a été érigée en principe national, donnant naissance à la sécurité sociale, financée par chaque citoyen et entreprise au travers de ses impôts. Notre système de sécurité sociale était d’ailleurs, jusqu’à il y a peu, un des plus performants du monde. Force est de constater qu’au fil du temps, il a été de plus en plus dénué de sa substance et qu’à l’heure actuelle, des familles entières passent à travers les mailles d’un filet devenu trop lâche.
Le doux rêve de l’émancipation, la réalité de l’assistanat
Malheureusement, un certain assistanat, financièrement gérable il y a quelques décennies et profitable politiquement, a progressivement pris la place du principe d’émancipation allant de pair avec la sécurité sociale. Il faut dire que l’éducation, l’émancipation et l’aide aux plus fragiles d’entre nous nécessitent d’investir massivement, notamment dans le social et l’éducation, et que ça n’a jamais été le fort de nos gouvernants, même en période de plein emploi. A l’heure actuelle, poursuivre dans la voie de l’assistanat n’est plus envisageable, au regard de la situation économique de notre pays, et le doux rêve de l’émancipation n’a toujours pas trouvé sa place au sein des manifestes politiques. En effet, les politiques « sociales » actuelles, beaucoup plus individualistes qu’auparavant, n’ont de cesse de détricoter un filet déjà bien mis à mal.
Charity business ou individualisation de l’aide sociale
Dans un tel contexte, on pourrait se réjouir de l’arrivée d’opérations de charity business telles que Viva for Life. En réalité, elles ont toujours existé, mais leur retentissement médiatique était peutêtre moindre qu’aujourd’hui, à l’ère des réseaux sociaux, de l’instantanéité de l’information, de la multiplicité des médias et de l’omniprésence d’internet dans la vie de la majorité d’entre nous. Pourtant, le principe même de ces opérations de charity business est condamnable : elles légitiment l’appel à la générosité publique pour pallier un travail qui doit être fait par l’Etat et financé par chaque citoyen, selon le principe de solidarité globale qui régit notre système social. Les citoyens le financent d’ailleurs déjà. C’est la redistribution qui pose problème. De telles opérations légitiment les cadeaux fiscaux accordés à de grandes entreprises, les coupes budgétaires faites ici et là, l’augmentation indécente des budgets des cabinets ministériels, le maintien d’administrations obsolètes et trop coûteuses, la déresponsabilisation politique globale.
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La course au buzz
En outre, dans cette course au buzz et à l’audimat, l’expression « le poids des mots, le choc des photos » n’a jamais été aussi vraie. Il faut mettre en scène, démontrer, à coups de photos, de vidéos, de témoignages, de statistiques simplistes. Le tout en un format court et percutant, qui saura capter l’attention de l’internaute et du téléspectateur moyen, devenu de plus en plus déshabitué de la lecture et de l’analyse, pourtant nécessaires si l’on veut un tant soit peu cerner des problématiques aussi complexes que la pauvreté infantile. De telles pratiques posent évidemment question, en termes déontologiques, mais aussi relativement à la notion de plus en plus floue de dignité humaine, à l’heure où tout devient télé-réalité.
Nous n’avons pas besoin de charité...
Pourtant, de telles opérations financent des projets, permettent à des associations de (sur)vivre. Justement, tout le problème est là. Si, grâce à de telles opérations, certaines associations peuvent respirer (au passage, tant pis pour les autres), c’est bien qu’il y a un souci en termes de financements structurels. Car les associations n’ont pas besoin qu’on leur jette des miettes chèrement gagnées pour respirer, elles ont besoin de financements structurels pérennes. En effet, les quelques milliers d’euros offerts à chaque association sélectionnée ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan de leurs besoins. Concrètement, ce genre de financements ne change pas grand chose, mais nous sommes tellement étranglés financièrement que nous en sommes là … Avec des financements pérennes, tout le temps perdu à remplir des dossiers de candidature longs comme le bras et à réinventer son travail quotidien pour le faire rentrer dans les cases de l’appel à projets du moment pourrait alors être employé aux missions de terrain, si essentielles et, pour beaucoup, non couvertes par les institutions publiques.
Mais de financements structurels pérennes
Aucune association ne recourt à Viva for Life, ou à des opérations et organisations similaires par plaisir, nous le faisons parce que nous n’avons pas le choix. Comment cautionner cette mise en scène de la misère sous prétexte de sensibilisation du « grand public » ? Comment cautionner cette course au projet le plus « innovant » alors que tant de besoins structurels sont inassouvis et que la sécurité sociale est chaque jour un peu plus vidée de sa substance ? Comment envisager sans broncher ce retour à la charité prodiguée par les dames patronnesses d’antan au « pauvre méritant et laborieux » ? Mieux que Viva for Life, il y a la sécurité sociale. Ne cassons pas l’outil.
MF - travailleuse sociale