« Dans le voyage, l’important est le chemin … et le sens que l’on donne à celui-ci »
Pourquoi souhaiter des accords sociaux ?
Aboutir à un accord non marchand intersectoriel comme faire atterrir un accord interprofessionnel est toujours un long chemin… Mais il est indispensable que les partenaires sociaux, tout comme les responsables politiques, continuent à l’emprunter et arrivent à destination.
La stabilité et la paix sociale sont souvent mises en avant pour en prouver l’importance. Mais cela ne dit pas tout. Des accords tels que ceux-là disent quelque chose de notre modèle de développement, de notre volonté de cohésion politique et économique et de la solidarité entre les travailleurs et les entrepreneurs.
Il est parfois bon de rappeler que, si ces négociations sont aussi importantes, c’est qu’elles font partie intégrante de notre modèle de sécurité sociale et de notre volonté de permettre la mobilité des travailleurs, la cohésion entre tous les belges et la cohérence dans la rencontre des besoins de la population. Les accords interprofessionnels et intersectoriels permettent de limiter les concurrences stériles entre les secteurs et l’appauvrissement des travailleurs des secteurs les moins pourvus financièrement.
Pourquoi s’entendre sur des mesures transversales ?
Si on se concentre sur les secteurs concernés par l’accord non marchand wallon, cela dit aussi quelque chose de la volonté de permettre de consolider la réponse aux besoins de la population qui sont rencontrés par ces projets. Pour rappel, la liste des secteurs concernés est longue et le nombre de travailleurs se situe au alentours de 65000 ETP. Ce sont près de 70 secteurs d’activités qui sont identifiés dans le cadastre et répertoriés comme différents les uns des autres, même si nombre d’entre eux sont regroupés dans les mêmes commissions paritaires. Ces secteurs se développent en interdépendance entre eux. Les travailleurs vont de l’un à l’autre en espérant voir leur ancienneté reconnue. Des mesures décidées dans une commission paritaire auront donc un impact certain sur l’attractivité du secteur mais aussi sur son développement. En revanche, sans cohésion et cohérence, ces mêmes mesures risquent de « vider » un secteur au profit d’un autre recherchant les mêmes qualifications ou les mêmes aptitudes.
Prenons l’exemple des soins et travailleurs des Maisons de repos et celui de l’aide au domicile. Revaloriser, changer les conditions de travail des maisons de repos sans prendre des mesures identiques ou adaptées mais d’un impact équivalent dans le secteur de l’aide au domicile conduirait directement à une concurrence entre ces secteurs plutôt qu’au développement des deux au profit de la population. Il en va de même dans l’aide sociale, l’insertion socio-professionnelle ou l’accompagnement des personnes en difficultés sociales toujours dans l’intérêt de la mobilité et de la carrière des travailleurs. Les différences de traitement ne peuvent se lire que comme des volontés politiques de privilégier l’une ou l’autre des réponses proposées par l’associatif ou le service public. C’est un choix qu’il faut alors oser assumer …
L’efficacité de ces projets est renforcée par le fait que les travailleurs puissent, tout au long de leur carrière changer d’employeur, de manière de travailler avec la population et enrichir les réponses données de leurs expériences diverses. Si demain, parce qu’il n’y aurait plus de mesures transversales dans un accord non marchand, la mobilité des travailleurs devait être réduite ou mise en concurrence entre les secteurs, c’est l’ensemble des projets qui en serait appauvri.
Par ailleurs, les activités développées par les entreprises non marchandes et publiques permettent de garantir un réel rempart contre la marchandisation de services essentiels au bien être de l’ensemble de la population et au développement du vivre ensemble. Les moyens mis par la Région ont donc comme première vocation de permettre l’union sacrée du secteur public et du secteur associatif afin de lutter contre la dualisation de notre société. Il est donc indispensable que les entrepreneurs associatifs et les pouvoirs publics communaux et les CPAS puissent assurer ces services avec une vision d’accessibilité universelle et de contribution du bénéficiaire la plus juste possible et sans recherche d’autres profits que le profit social. Sans les moyens suffisants, ce sont soit les bénéficiaires qui devront payer - et donc une sélection s’opérera - soit des investisseurs marchands qui se rueront sur l’aubaine de la prise d’un nouveau marché. Les accords doivent donc aussi se lire avec cette grille d’analyse afin de sauvegarder l’efficacité de l’investissement public, la cohésion sociale et la lutte contre la marchandisation des services indispensables à la population.
L’accord actuel… est-il bien un accord ?
Il serait ridicule de ne pas reconnaître l’importance des sommes mises sur la table par le gouvernement actuel de la Région wallonne. 260 millions à terme (2024) constitue une réelle avancée et déjà 100 millions pour l’année 2021 est une belle mise en bouche pour avancer sur le chemin d’un accord. Contrairement aux sommes aujourd’hui connues, pour un accord non marchand en Communauté française, la Région wallonne vend l’article, donne envie d’adhérer à sa politique espérant ainsi faire passer d’autres réformes bien moins heureuses pour les secteurs concernés et propose donc les conditions nécessaires d’un accord qui semble à portée de main. Il est toujours plus facile de couper en morceaux une grande tarte qu’un tout petit gâteau… Cependant, il faut tenir compte du fait que c’est un accord qui doit aussi intégrer l’ensemble des secteurs et des travailleurs résultant du transfert de la 6ème réforme de l’Etat.
Le 27 mai, le Gouvernement wallon annonce avec fierté la conclusion d’un accord-cadre tripartite… En fait, les interlocuteurs se sont entendus sur le cadastre, les secteurs concernés et la répartition de l’enveloppe entre ceux-ci et ce, sur une base pluriannuelle. C’est-à-dire 100 millions en 2021, 150 en 2022, 200 en 2023, 260 dès 2024 et pour les années suivantes. Il prévoit de mettre en œuvre les barèmes de la grille IFIC (c’est à dire une revalorisation des métiers de la santé) pour les secteurs de la santé en parallèle de leur mise en œuvre dans le secteur hospitalier. Cet accord est donc plus une balise ou une étape pique-nique le long du chemin qu’un aboutissement et donc… cet accord n’est pas un accord !
Il aura sans doute permis à la Ministre Morreale de ne pas devoir se battre pour sauvegarder les montants de 2021 lors du conclave budgétaire de mai… L’absence d’un accord lors de cette négociation aurait sans doute éveillé l’appétit d’un ministre du budget … On peut également se réjouir du fait que les partenaires sociaux aient pu imprimer une balise importante : celle d’éviter les one-shots, les effets d’annonce de primes non récurrentes qui sont généralement des cadeaux de très courte durée et quelque peu empoisonnés.
Je souhaite m’attarder sur la philosophie de cet accord cadre… Dans les faits, il répartit de grosses enveloppes et il donne la main aux commissions paritaires pour des négociations sectorielles. 100 millions pour l’IFIC, 100 millions pour les autres secteurs, 34 millions pour des mesures qualitatives dans les secteurs de la santé principalement et quelques ajustements dont la garantie que le secteur de l’aide au domicile ne s’éloigne pas des autres secteurs de la santé… On l’aura donc compris, tout reste à faire mais surtout il reste aussi à sauvegarder ce qui fait l’essence même d’un accord interprofessionnel : la cohérence et la cohésion !
La suite et le bout du chemin …
Les semaines et mois à venir seront décisifs. L’ensemble des secteurs concernés, tant publics qu’associatifs, devront intégrer les conséquences pour les années à venir de la réforme APE qui sera votée entre temps ce 9 juin… et qui malheureusement n’inclura ni une indexation suffisante des subsides pour couvrir l’indexation des salaires, ni la prise en compte de l’ancienneté, ni la création garantie de nouveaux emplois nécessaires pour assurer de meilleures conditions de travail et le développement des projets. Les partenaires sociaux vont-ils devoir déjà « économiser » ou « réserver » une part des sommes de l’accord non marchand pour couvrir ce fossé qui ne va aller qu’en grandissant au long des années et qui mettra en danger plus d’un employeur qui sera confronté dans le même temps à la nécessité de garantir le volume de l’emploi et d’assurer l’évolution des salaires.
Les partenaires sociaux, patronats et syndicats, vont-ils à l’intérieur de chaque commission paritaire prendre le temps de vérifier qu’ils ne mettent pas d’autres secteurs en difficulté ? Quelles articulations seront menées avec les nécessaires décrets emplois qui devront être négociés dans tous les secteurs où l’emploi était d’abord et avant tout pris en charge par des subsides APE ? Aujourd’hui, aucune de ces questions n’est mise sur la table par aucun des ministres concernés, pas même par la ministre Morreale qui devrait pourtant être la première à s’en soucier.
Si seuls les partenaires sociaux sont les garants de l’équilibre de l’accord qui sera trouvé, les responsables politiques se doivent d’être les garants des politiques qu’ils souhaitent mener. Le gouvernement wallon ne peut faire payer aux partenaires sociaux et aux travailleurs les conséquences des mesures qu’il aura décidées par ailleurs… et en premier lieu les conséquences de la réforme APE.
Alda Greoli