Les fondations peuvent devenir des alliées précieuses des ASBL, mais, pour cela, ces dernières doivent apprendre à les connaitre. C’est dans cet objectif que MonASBL.be a rencontré Pierre-Arnold Camphuis, directeur d’Epic Foundation en Belgique. Ce dernier est revenu sur la façon dont la philanthropie évolue et comment cela impacte les relations et les attentes envers les ASBL.
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« Certaines fondations travaillent uniquement sur le démarrage ou le post-démarrage des ASBL, d’autres sur la croissance »
MonASBL.be : Comment évolue le monde de la philanthropie ?
Pierre-Arnold Camphuis : Nous observons trois tendances de fonds. La première, c’est ce qu’on appelle le « trust-based philanthropy », c’est-à-dire la philanthropie construite sur la confiance entre les acteurs. Ainsi, on quitte un monde « projets » pour aller vers un monde « acteurs », soit des entrepreneurs qui s'emparent d'un sujet social et qui vont construire un écosystème autour de celui-ci.
La deuxième tendance de la philanthropie consiste à s'organiser entre fondations pour cadencer le soutien au secteur des ASBL, ce qui veut dire comprendre qui intervient quand et comment. Toutes les fondations ne peuvent pas être en fin de course, sinon tout le monde financerait la même chose. Il y en a donc qui travaillent uniquement sur le démarrage ou le post-démarrage des ASBL, d’autres sur la croissance, etc. En Belgique, il commence à y avoir une coordination entre les fondations sous l'impulsion de certaines d'entre nous et de la Fédération belge des fondations philanthropiques. Certaines fondations majeures ont même réformé leur stratégie : Bernheim, Degroof Petercam, la Fondation roi Baudouin, et d’autres.
Enfin, la troisième tendance – moins présente en Belgique – est le rapprochement entre « l’impact investing » et la philanthropie.
MonASBL.be : C’est-à-dire ?
Pierre-Arnold Camphuis : Il existe des fondations de dotation, c’est-à-dire qui ont reçu un capital à partir duquel elles distribuent des revenus ou un pourcentage au secteur de la philanthropie.
Historiquement, ces fondations considéraient que leur rôle consistait à placer le capital de sorte à rapporter beaucoup d’argent, pour ensuite le distribuer aux ASBL. C’est une doctrine libérale qui a très bien fonctionné et qui est encore massivement représentée. Mais il commence à émerger des générations d’administrateurs de fondations qui estiment qu’il est possible d’avoir un impact avec son capital, aussi bien en investissant dans des entreprises à impact, qu’en distribuant les produits de ce dernier à la philanthropie. Cette tendance est en train de gagner du terrain.
« L’ASBL se positionne comme un fournisseur de services »
MonASBL.be : Comment ces trois tendances modifient ou impactent les relations avec les associations ?
Pierre-Arnold Camphuis : Nous pouvons observer deux changements.
Tout d’abord, on ne raisonne plus en termes de mission caritative ou de projet social, mais en termes de service rendu à la société, à un acteur privé ou public. L’ASBL se positionne comme un fournisseur de services. La nuance est de taille parce que cela signifie qu’on considère le subside comme la rémunération d'un service rendu. Et cela modifie la relation avec tous les financeurs, à commencer par le financeur public, qui deviennent des clients que l’ASBL doit satisfaire.
Des financeurs comme Actiris – qui confie une partie de ses missions à des ASBL – se positionnent résolument dans cette logique : on exige de la qualité, une pérennité du service et en échange on fournit un financement.
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MonASBL.be : On retrouve ce genre de relations aussi entre les ASBL et les fondations ?
Pierre-Arnold Camphuis : Avec les fondations, on ne sera pas forcément dans le transactionnel [un financement pour un service rendu, NDLR], mais il y a des exigences très concrètes en termes de réalisations d’objectifs et de compte rendu d’impact.
À tel point que, même en Belgique, il y a maintenant des fondations qui initient des projets. C’est-à-dire qu’elles s’emparent de problématiques qu'elles jugent déterminantes pour la société et elles vont susciter l'émergence d'entrepreneurs sociaux ou de porteurs de projets qu'elles vont incuber comme une start-up. Elles vont également provoquer le rapprochement entre des ASBL qui font le même travail.
MonASBL.be : Comment s’explique cette tendance ? Les fondations ont-elles envie de prendre une place plus centrale ?
Pierre-Arnold Camphuis : Non, elles veulent juste être mieux au service du secteur. Je pense que les fondations commencent à s'apercevoir que l'argent est une denrée rare et qu’il faut l’utiliser avec parcimonie. C’est fini le temps où il y avait beaucoup d’argent qui était dépensé n’importe comment.
Puis, il y a aussi la conscience qu'il y a eu des personnes peu fiables qui ont levé de l'argent auprès des fondations pour faire n'importe quoi.
« On va pousser le secteur à s'organiser autour de ce qui est réellement bon pour les bénéficiaires »
MonASBL.be : Vous parliez d’une deuxième évolution dans les relations entre les ASBL et les fondations.
Pierre-Arnold Camphuis : Nous voyons de plus en plus d’ASBL qui incluent des bénéficiaires finaux dans leurs organes de gouvernance car on considère de plus en plus que les premiers intéressés savent mieux que quiconque ce qui est bon pour eux.
C’est un aspect important pour les fondations, car si la volonté philanthropique est de bien faire les choses on va pousser le secteur à s'organiser autour de ce qui est réellement bon pour les bénéficiaires plutôt que de projeter des solutions.
En résumé, ce qui est central ici, c'est d'avoir de bons porteurs de projets, capables d'emmener les financeurs et les acteurs sur le terrain autour d'une mission et d'un métier qui sont au service d'une population cible.
MonASBL.be : Vous évoquez l’importance du porteur de projet, comment cela se concrétise dans les rapports entre les fondations et les associations ?
Pierre-Arnold Camphuis : La plus grande qualité d'un entrepreneur - outre sa capacité de travail, sa vision, voire peut-être son courage, son engagement - c'est de bien s'entourer. C’est cela qui fait la différence.
MonASBL.be : C'est un élément que vous allez observer en tant que fondation ?
Pierre-Arnold Camphuis : Absolument, c'est déterminant.
Je pense à une association que j'ai rencontrée à Anvers : le porteur de projet est un travailleur social, qui s'est aperçu qu’il y avait des lacunes dans son écosystème. En plus du fait qu’il est travailleur et qu’il a une vision claire de son métier, son approche, son humilité, donc sa capacité à s’effacer derrière sa mission, à s’entourer d’administrateurs beaucoup plus qualifiés que lui et la mise en valeur de ses équipes, permettent de voir qu’il va réussir.
« La collaboration est un facteur-clé de succès des ASBL »
MonASBL.be : Quels sont les critères essentiels pour qu’une ASBL ait plus de chance d’obtenir des financements des fondations ?
Pierre-Arnold Camphuis : Première chose : une ASBL doit clairement exprimer sa mission. Quel est le sujet ? Et quelle est sa vision ? Par exemple, une ASBL qui travaille dans les bidonvilles au Kenya nous a dit : d’ici cinq ans, 50 000 enfants seront pris en charge dans des crèches de qualité.
Puis, par rapport à cette vision, il faut définir un métier, une activité. Comment intervenir par rapport à cette problématique ? Je reprends mon exemple : l’ASBL ne va pas gérer les crèches, mais elle va accompagner des acteurs qui le font déjà.
Enfin, la troisième étape est la mesure de l’efficacité : qu’est-ce qui permettra d’évaluer l’efficacité de la mission ? Les ASBL capables de dire elles-mêmes, et dès le départ, ce qui sera considéré comme un succès font la différence. Elles ont déjà conçu leur activité avec ce que on appelle la « mesure d'impact ».
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MonASBL.be : Observez-vous des difficultés à se comprendre et donc à créer des collaborations entre les associations et les fondations ?
Pierre-Arnold Camphuis : Le principal écueil dans la collaboration entre des fondations et les ASBL, c’est la difficulté pour des porteurs de projets d’accepter que la mission soit supérieure à eux. Ainsi, quand on leur demande pourquoi ils font les choses de telle manière, ils répondent qu’ils savent mieux. Ou bien, il arrive qu’on suggère de discuter avec d’autres ASBL qui ont des missions similaires, et ils refusent. Ce type d'attitude est une plaie car la collaboration est un facteur-clé de succès des ASBL, qui ne peuvent arriver à rien toutes seules.
Deuxièmement, nous constatons qu’un autre facteur-clé de succès important des ASBL, c'est la spécialisation. Ce qui est un peu difficile parce que quand on s'attaque à une cause qu’on a envie d'incarner, on veut faire le maximum de choses. Ou bien, les ASBL sont parfois contraintes par le secteur à élargir leur champ d'action. Pourtant, la meilleure façon de progresser est de se spécialiser sur des actions qu’on fait très bien et de trouver d’autres acteurs pour celles ce qu’on ne sait pas faire.
Propos recueillis par Caroline Bordecq