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VIE ASSOCIATIVE 6 mai 2025

Créer une ASBL, la faire vivre, la structurer : retour sur le parcours inspirant du Laboratoire

Deux ans après avoir lancé son ASBL et partagé les premières étapes de son aventure dans un journal de bord filmé diffusé sur MonASBL.be, Émilie Vervust revient sur le chemin parcouru. Structuration, méthodologie, financement, gouvernance, équilibre personnel : la fondatrice du Laboratoire livre un retour d’expérience précieux pour toutes celles et ceux qui veulent créer – et faire vivre – une ASBL.

En avril 2023, Émilie Vervust partageait, sans langue de bois, avec MonASBL.be les premières étapes de la création de son ASBL, Le Laboratoire, dans un format inédit : un vlog. Deux ans plus tard, où en est ce projet associatif ambitieux qui vise à  favoriser l’inclusion de toutes et tous dans les médias par l’expérience et l’échange ? On a repris le fil de l’histoire, là où elle s’était arrêtée, pour comprendre comment on passe d’une idée à un programme reconnu d’innovation sociale.

« Les deux premières années, j’ai été très immergée dans l’opérationnel : il s’agissait avant tout de tester le concept et de confirmer son fonctionnement sur des publics variés », lance en préambule Emilie Vervust. Et de se réjouir : « A présent, alors que l’ASBL entame sa troisième année d’activité, on a suffisamment de recul pour dire que les objectifs sont atteints, que le concept tient la route ! »

Et le chemin emprunté pour structurer son ASBL n’a pas été des plus traditionnels. « C’est vrai, on a peut-être fait les choses à l’envers. Pour nous, tout était à inventer : le programme 1 km², qui crée des ponts entre les habitants d’un même quartier bruxellois en favorisant des rencontres inattendues, n’existait pas. »  Plutôt que de partir d’un cadre figé, elle et son équipe ont fait le pari du terrain. « Alors on a commencé par lancer un pilote. Et ce pilote a été récompensé par un prix, ce qui nous a permis de le déployer dans trois quartiers, en élargissant à d’autres publics. »

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Asseoir le projet, prouver son impact

Dès les débuts de son aventure associative, la fondatrice du Laboratoire a tenu à ancrer son travail dans une démarche rigoureuse d’évaluation. « Si je devais donner un conseil, ce serait celui-là : on a toujours accompagné notre travail de terrain par des évaluations très rigoureuses. On a été bien entourés. J’ai eu la chance d’être accompagnée par Myriam De Spiegelaere, professeure en santé publique à l’ULB, dès le pilote. »

Le but ? Structurer progressivement la mesure de l’impact. « Grâce à cela, j’ai pu vraiment asseoir le concept et construire une ‘évolution d’impact’. » C’est une approche qui mêle indicateurs quantitatifs et qualitatifs, et qui implique aussi bien les bénéficiaires que les personnes-relais, « dans les outils comme dans l’interprétation des résultats ».

Ce socle méthodologique solide est désormais un atout pour faire appel à diverses sources de financement. « Aujourd’hui, en 2025, tout ce travail nous donne une vraie légitimité pour aller chercher des partenaires privés ou des fondations. Et c’est indispensable, parce que dans le secteur privé, la première chose qu’on te demande, c’est : 'Votre ASBL, elle sert à quoi ? Elle a déjà fait quoi ?' »

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Émilie Vervust résume ces années de construction avec une image forte : « J’ai vraiment eu l’impression, pendant les deux premières années, de travailler comme un sculpteur dans une carrière : extraire la matière brute, casser la pierre à la main. C'est une peu comme si j'avais les mains dans la boue, dans le cambouis. C’était difficile, fatigant. Mais aujourd’hui, j’ai cette matière. Et maintenant, je peux enfin façonner l’œuvre. »

Un nouveau cap pour structurer et essaimer

Avec deux années bien remplies derrière elle, la Bruxelloise sent que l’ASBL entre désormais dans une nouvelle phase de son développement : « On peut dire qu’un cap a été franchi. Je me sens renforcée, et prête à faire grandir l’ASBL à un autre niveau. Concrètement, on a défini, avec l’assemblée générale, de grands objectifs pour cette nouvelle phase. »

Premier axe de travail : renforcer la structure de l’association. Cela passe notamment par la rémunération de la créatrice de l’association. « Et donc, arrêter de travailler bénévolement. Il est temps que je puisse recevoir un salaire », pointe-t-elle, avant de revenir sur le fonctionnement de ces dernières années : « Les deux premières années, il n’y avait aucun salarié dans l’ASBL. Les fonds disponibles, je les ai réinvestis dans le projet, dans la rémunération de divers prestataires de services, dans l’achat de matériel. »

Autre pilier de cette stratégie : penser à l’après, et à l’ailleurs. « Le deuxième objectif, c’est d’optimaliser la réplicabilité du programme 1km². L’idée, c’est de consolider la méthodologie d’1 km², pour qu’il puisse être adapté et reproduit plus facilement ailleurs, tout en restant fidèle à ses fondements. » Car s’il a prouvé son efficacité, il faut désormais penser à son déploiement sur d’autres territoires : « Comme on a pu constater que le programme fonctionne partout et pour tous et toutes, l'enjeu maintenant, c’est de solidifier notre cadre pour qu’il puisse s’adapter facilement aux diverses réalités locales. »

Émilie Vervust rajoute : « À l’époque du pilote, je dépensais énormément d’énergie à réfléchir au contenu des ateliers et à la structure du programme. Aujourd’hui, c’est différent. On sait où on va. Chaque km² repose sur un fil rouge établi à l’avance, avec un axe de découverte artistique et médiatique. À partir de cela, on construit nos partenariats dès le début. Le programme est découpé en quatre blocs, avec plusieurs séances, et on a une boîte à outils dans laquelle on peut piocher en fonction du contexte. »

Ce modèle, pensé comme une base stable à multiplier, devrait permettre au programme d’essaimer dès 2026. « A Bruxelles, dans d’autres régions de Belgique, et pourquoi pas à l’international. Le concept s’y prête vraiment. Il y a un potentiel énorme pour un ancrage local fort dans chaque territoire, tout en conservant une méthode adaptable et inclusive. »

Apprendre à lâcher prise

Si les premières années d’1 km² ont été placées sous le signe de l’expérimentation et du tout-terrain, la suite implique une posture différente. Émilie Vervust le confie sans détour : cette nouvelle phase l’oblige à se réinventer dans son rôle. « J’ai dû déconstruire pas mal de choses. Dans mes précédentes expériences, j’évoluais toujours dans des structures très verticales, avec un management très hiérarchisé. Et ici, je dois m’inventer comme directrice en intégrant les valeurs horizontales du Laboratoire. Apprendre à manager autrement. À transmettre. À inspirer. Et ça, ça passe aussi par un vrai lâcher-prise. »

Elle admet qu’il n’est pas simple de déléguer, après avoir porté seule les débuts du projet : « Pendant deux ans, j’ai tout contrôlé : c’était mon bébé. Mais aujourd’hui, je comprends que ce projet est en train de m’échapper… au bon sens du terme. Je réalise que ce que j’ai semé commence à vivre par lui-même. » Le tournant est assumé : « Lâcher prise, ce n’est pas abandonner. C’est avoir confiance. J’ai balisé le cadre, je travaille avec des personnes de confiance, je suis à l’écoute. Et une fois que le cadre est clair, les gens se l’approprient, pour pouvoir aller au-delà. » Elle explique : « Cela correspond exactement à la méthode expérimentale développée dans les ateliers du Laboratoire : créer un cadre pour offrir des opportunités d’expression aux participant·e·s qui dépassent ce cadre. L’expérimentation ouvre un champ des possibles qui dépasse celui de l'imagination. C’est ça la magie du Laboratoire et c’est donc simplement logique et cohérent qu’elle se prolonge dans le management de la structure. »

Elle prend du recul, mais reste aux commandes sur les enjeux clés. Pour structurer le projet, elle s’appuie désormais sur l’accompagnement de Coopcity via le programme Innovate. L’ASBL avance avec trois pôles bien définis : un pôle optimisation pour affiner le modèle, un pôle pédagogique porté par une équipe engagée, et un pôle business en plein développement.

Et dans chaque étape, l’importance du collectif revient comme un leitmotiv : « Depuis le début, je me suis entourée d’une dream team. Des gens compétents, humains, investis. Que ce soit dans mon organe d’administration, dans mes partenariats ou avec mes prestataires, je cherche à m’entourer de personnes avec qui je partage des valeurs, de la confiance, une vision. »

Un modèle de financement hybride

Et rayon financement de l’association ? Émilie Vervust en est convaincue : la clé de la pérennité, c’est la diversification. « Depuis le départ, je fonctionne selon un modèle hybride, parce qu’il faut rester lucide. Les subsides publics sont devenus instables, voire imprévisibles », note-elle. « Actuellement, je m’oriente donc de plus en plus vers le financement privé : philanthropes, fondations, partenaires ponctuels et structurels. » Un positionnement qui semble pertinent, même si le chemin reste parfois semé d’embûches : « Je pense avoir un profil qui peut plaire à ces acteurs, même s’il n’est pas facile de se faire une place dans le secteur associatif en tant que nouvelle ASBL en partant de rien, sans soutien préalable. »

Mais, elle peut désormais compter sur des soutiens solides. « Des fondations comme la Fondation Roi Baudouin nous ont déjà accompagnée. Par exemple, grâce à eux, j’ai bénéficié d’un coaching sur le renforcement structurel, ce qui a été très utile. » Mais l’accès à des financements structurels reste un défi : « On reste souvent sur un fil : on fait partie des projets prometteurs, mais pas encore assez consolidés pour décrocher les grosses aides. C’est l’étape suivante ! »

À ce jour, certains appuis publics se sont néanmoins confirmés : « Aujourd’hui, la commune d’Ixelles nous soutient financièrement. C’est un premier pas important. » Mais les blocages politiques freinent d’autres sources de soutien : « La Fédération Wallonie-Bruxelles est à l’arrêt : les enveloppes sont bloquées pour les nouveaux projets. Quant à la Région bruxelloise, sans gouvernement, c’est le statu quo. »

Face à ces incertitudes, Émilie Vervust reste proactive : « Je continue à faire de la veille sur les appels d’offres, à solliciter les fondations, à explorer toutes les pistes. Mais j’ai appris que, dans ce secteur, il faut de la patience, une stratégie solide… et les bons mots au bon moment. »

Trouver l’équilibre pour durer

Et puis, forcément, il y a la question de l’équilibre personnel, enjeu plus que fondamental pour une série de responsables associatifs. « Avant de me lancer dans la création de l’ASBL, j’ai connu le burn-out, je sais ce que c’est de se brûler en allant trop loin. » Aujourd’hui, la fondatrice du Laboratoire a mis en place des mécanismes pour éviter de replonger : « Oui, j’ai retrouvé un équilibre. Je me protège. Quand la vie pro devient très intense — ce qui est souvent le cas dans ce secteur — je veille à ce que ma vie perso soit plus douce. J’ai appris à repérer les signaux, les moments où il faut souffler, ralentir, dire stop. Sinon, on ne tient pas. »

Et de noter : « J’ai aussi appris à passer le message à mon équipe : nous sommes des humains, il est normal d’être parfois épuisés, de vivre des situations intenses au niveau personnel. Dans ce cas, on communique et on avise ensemble parce qu’on fait un super boulot donc on trouve toujours des solutions ! C’est le grand avantage d’être aux commandes de sa propre structure : choisir son modèle de management et en adopter un à dimension humaine. »

Elle veille à gérer et développer son ASBL avec discernement : « Avec tout l’amour, la vigilance et l’énergie que ça demande — mais sans m’y perdre. » Pour garder le cap, la fondatrice s’appuie aussi sur des outils adaptés : un assistant Chat GPT personnalisé qui l’aide à structurer ses idées, les ressources de MonASBL.be pour sa stratégie, ou encore l’accompagnement de CoopCity, qui lui offre coaching et visions. « Ces soutiens sont précieux quand on veut faire bouger les lignes. »

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Deux ans après les débuts documentés dans le vlog initié par MonASBL.be, le parcours d’Émilie Vervust illustre avec force qu’une ASBL ne se construit pas uniquement sur une idée, mais sur un ancrage progressif, des choix assumés, des remises en question constantes et une structuration patiente.

Propos recueillis par Emilie Vleminckx

Un territoire comme laboratoire vivant

Depuis janvier, l’ASBL Le Laboratoire optimalise la réplicabilité du programme 1km² à travers le développement d’un modèle à Ixelles. Et c’est tout un quartier qui devient un terrain d’expérimentation collective. Les élèves de l’école Mercelis, les seniors du centre de jour Audrey Hepburn et les membres de la Forestière se rencontrent dans des ateliers interactifs. Le fil rouge ? Construire une street expo qui répondra à la question "Comment réparer le monde ?" inspirée de l’expo "Après nous, le déluge" de Camille Dufour.

Un événement qui rassemble de nombreux acteurs du quartier et bien au-delà : structures culturelles, associatives, publiques, privées, médiatiques,... et qui est relayé dès à présent sur les réseaux de l’ASBL par deux jeunes et talentueux reporters : Noah Bundula et Promédi Kulutila Misangumukini. En effet, pendant un mois, les deux créateurs de contenu suivront de près les aventures des participant·e·s d’1km² qui aboutiront sur un parcours vivant le 4 juin autour de la chapelle de Boendael. Un événement participatif ancré localement ouvert à toutes et tous.