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VIE ASSOCIATIVE 15 octobre 2025

"Nos lieux de liens sont en danger" : des ASBL bruxelloises passent à l’action avec une pétition

À Bruxelles, plusieurs ASBL engagées dans la création de “lieux de liens” tirent la sonnette d’alarme. Face à l’absence de gouvernement régional et aux incertitudes budgétaires qui fragilisent leurs projets, elles lancent une pétition citoyenne pour défendre ces espaces essentiels de cohésion sociale et interpeller le monde politique sur l’urgence de garantir leur pérennité.

Lancée à la mi-septembre 2025, la pétition a pour objectif de demander un renforcement du soutien des lieux de liens et leur pérennisation. Atteindre le seuil de 1.000 signatures permettra d’obtenir un nouveau débat au Parlement bruxellois. Parmi les initiateurs de cette pétition figure l'Espace 51, situé 51 rue Thiéfry à Schaerbeek. Un lien « pensé comme espace de création citoyenne et de dialogue, qui fonctionne au plus près de celui de la société civile, tout en étant ouvert à la question de la souffrance psychique », explique le site internet de l'ASBL.

Mais pourquoi cette pétition ? Françoise Calonne, Coordinatrice d’Espace 51, nous précise le but de la démarche : « Cette initiative s'inscrit dans la continuité de notre cheminement à l'égard des partis politiques, pour essayer de leur faire prendre conscience de l'importance de ces modèles de travail et d'accueil sur Bruxelles. »

Un modèle mis à mal par la crise actuelle, marquée par l'absence prolongée de gouvernement bruxellois. « Mais cette crise n’est pas apparue soudainement : au contraire, elle fermente depuis bien longtemps. Ainsi, il y a 20 ans déjà,  on évoquait l’établissement d’une charte associative,  mais qui n'a jamais abouti à quoi que ce soit d'un point de vue officiel. Avant la crise du Covid, le Collectif 21 (qui regroupe des associations soucieuses de sensibiliser et de mobiliser autour de la légitimité et la nécessité du fait associatif, NDLR) avait accompli un travail conséquent avec le monde politique, dans le cadre du centenaire de la loi de juin 1921 sur les ASBL en Belgique. La réflexion portait également sur la nouvelle loi entrée en vigueur en 2019, qui rapproche le statut des ASBL de celui des sociétés, mais à nouveau sans aboutir à quelque chose de concret. Le constat étant que tous les pourparlers avec le monde politique n'aboutissent jamais à quoi que ce soit d'écrit. »  

D'où  l'idée qui a émergé d'essayer à nouveau de déposer une résolution pour le monde associatif.  Résolution qui, dans un premier temps, se veut intersectorielle afin d'être équitable, avec pour objectif, dans un second temps, de pouvoir évoluer vers des projets d'ordonnances.

Lire aussi : Subsides en chute libre : MonASBL lance un dossier pour outiller les ASBL face à la crise

Des demandes spécifiques

En fait, l'initiative s'inscrit dans la continuité d'une démarche entreprise en novembre 2024 : alors que 5 mois s'étaient écoulés depuis les élections régionales, un état des lieux et une proposition politique concernant les lieux de liens avaient été communiqués. À l'origine de cette proposition, Françoise Calonne et Niels Osselaer (du réseau de santé mentale Norwest), au nom des lieux de liens, soutenus par La Ligue de santé mentale bruxelloise et La Plateforme bruxelloise pour la santé mentale.

Parmi les demandes formulées alors, citons l'augmentation du nombre de travailleurs, un renforcement des postes administratifs pour que la charge administrative empiète moins sur les véritables missions des coordinateurs, une dimension cogérée entre les associations pour tisser encore davantage le travail collectif, ou encore une coconstruction entre les acteurs de terrain et le politique.

Mais un an plus tard, pas grand-chose ne semble avoir évolué, déplore Françoise Calonne : « Cette proposition était l'aboutissement de deux années de travail transversal dans les lieux de liens, avec en point de mire les prémices de ce qui se passe actuellement. Nous avons dès lors commencé à interpeller les partis. Or, ce que nous constatons, c'est que les politiques qui se déplacent individuellement pour nous rendre visite prennent souvent conscience des difficultés que nous rencontrons au quotidien et de l'utilité de notre mission, mais malheureusement, les logiques de partis prennent trop souvent le dessus et freinent toute avancée significative. De plus, nous sommes confrontés à un schéma institutionnel qui fait que les différentes entités concernées -régionale, fédérale…- se renvoient systématiquement la balle face à leurs responsabilités.  Nous nous retrouvons donc otages de cette situation. »

Tout un secteur fragilisé

Concrètement, l'absence de gouvernement bruxellois se traduit par de nombreuses difficultés au quotidien pour Espace 51 : « Sans le soutien de l'ASBL CASMMU et du Centre Hospitalier Jean Titeca pour le paiement des salaires, nous nous serions retrouvés au chômage dès le 1er août ! Certes, nos douzièmes provisoires jusque fin décembre ont enfin été votés, mais nous devons encore attendre plusieurs semaines avant de les percevoir. Dans la pratique, notre fonctionnement reste donc lié aux avances reçues cet été de Titeca et du CASMMU. Et tout notre secteur est concerné par la même problématique : il y a quelques jours, une autre association active dans les lieux de liens (secteur jeunesse) a perdu un poste de psychologue. Par ailleurs, ces douzièmes provisoires ne nous amènent pas plus loin que la fin 2025. Nous ne savons absolument rien de ce qu'il en sera pour l'année prochaine, il nous est donc impossible de nous projeter. La logique des subsidiations annuelles occasionnent d'ailleurs des périodes de latence de subsides, qui supposent des réserves de liquidités dont nos associations ne disposent pas et qui empêchent de penser les projets à moyen et long terme. Avec comme conséquence regrettable que tout cela nous oblige à consacrer un temps considérable à militer pour faire valoir nos droits et de ne pas pouvoir consacrer le temps qu'il faudrait aux activités quotidiennes de notre association. » 

Or, un lieu de lien subsidié et qui peut remplir sa mission d'accueil en matière de santé mentale coûte en réalité beaucoup moins cher aux pouvoirs publics en termes de budget que des hospitalisations en psychiatrie. Cette réalité, couplée aux revendications du secteur, ont été défendues lors de la manifestation nationale de ce mardi 14 octobre, en compagnie du secteur social santé.

« La réalité des lieux de lien, c'est que les personnes qui y viennent s'approprient les lieux, cela devient leur projet aussi et ça leur apporte un équilibre essentiel. Ils défendent donc ces lieux qu'ils considèrent comme étant un besoin et un droit pour eux. Plusieurs de nos membres s'interrogent de plus en plus sur la finalité de notre démocratie représentative : en quoi nos élus nous représentent-ils encore?  Une question qui reste hélas trop souvent sans réponse », conclut Françoise Calonne.

Olivier Clinckart