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VIE ASSOCIATIVE 2 décembre 2020

Les ASBL face au Covid : “Transmettre la dimension humaine à distance”

Manque de financement, public restreint, communication et convivialité mises à mal... Le coronavirus ne facilite pas la vie des ASBL. Entre les mesures et les protocoles, les associations s’adaptent non sans parfois une dose d’originalité pour poursuivre leurs activités. Nouvelle ASBL à être interviewée dans le cadre de notre série “Les ASBL face au Covid” : Interface3Namur, pour un accès élargi au numérique et à l’emploi.

Notre série "Les ASBL face au Covid" :

En Belgique, seul 10 à 15% des postes informatiques techniques sont occupés par des femmes selon l’ASBL. Partant de ce constant et de bien d’autres, Interface3Namur souhaite agir pour un accès inclusif au numérique et à l’emploi. Que ce soit auprès de demandeurs d’emplois, de structures associatives ou de publics volontaires, Aline Renard, formatrice et animatrice multimédia forme et sensibilise aux technologies de la communication au quotidien. Et si la crise sanitaire favorise l’émergence des outils digitaux, Interface3Namur n’échappe pas aux défis du distanciel et à l’obligation de se réinventer.  

S’adapter dans l’urgence 

MonASBL : Selon les domaines d’actions, le coronavirus n’a pas touché toutes les ASBL de la même manière, étant plus ou moins meurtrier. Interface3Namur a-t-elle été impactée par la crise malgré qu’elle soit tournée vers le numérique ? 

Aline Renard : Oui, la crise nous a quand même impactés. Interface3Namur propose essentiellement des formations en présentiel. On a donc l’habitude d’avoir des groupes de proximité. Beaucoup de personnes débutent aussi avec l’utilisation d’un ordinateur ou l’utilisation d’une souris : le présentiel est important. Par contre, et c’est là notre force, on a pu très rapidement basculer vers un modèle en ligne quand la crise a commencé. On avait déjà les compétences en interne pour prendre les outils numériques en main. Dès que ça a été possible, même avant la confirmation du confinement, on a donc basculé nos formations en ligne. Du jour au lendemain, on a expliqué aux stagiaires le processus et c’était bon. Cependant, pour certaines activités auprès de publics débutants, il aurait été très difficile de passer en ligne. C’est compliqué de former à un outil tout en leur demandant de l’utiliser.... Ces formations ont donc été suspendues jusqu’au moins de juin. On a pu les reprendre seulement à ce moment-là, en tout petit groupe et avec une installation adéquate pour respecter les distances. On a fait ça jusqu’au deuxième confinement.  

MonASBL : De juin à octobre, le fonctionnement était donc presque normal... 

Aline Renard : On a seulement pu reprendre nos formations pour les grands débutants. Les autres étaient maintenues à distance. Nos locaux sont trop petits pour accueillir nos groupes avec les distances de sécurité. D’habitude, on optimise déjà l’espace au maximum. Là, ce n’était donc pas possible. C’est aussi complexe d’imaginer un système hybride, où certaines personnes seraient présentes et d’autres en ligne. À distance ou en présentiel, la dynamique est totalement différente. Au mois de mars, on avait deux formations qui venaient de commencer : une de six et une de huit mois. Elles ont été basculées à distance et le sont restées jusqu’à la fin. En septembre, on a préféré les continuer en ligne étant donné que la situation pouvait changer à tout moment. On a fait le choix de préparer un cadre de formation directement à distance dans le risque de devoir tout changer du jour au lendemain.  

MonASBL : En septembre, avez-vous réussi à attirer de nouveaux stagiaires pour vos formations ?  

Aline Renard : On n’a pas eu de souci pour recruter de nouveaux bénéficiaires, remplir et composer nos groupes. On est resté sur 12 stagiaires, soit le même nombre qu’en présentiel. Là où le numérique offre une opportunité, c’est qu’on a pu toucher des personnes qui étaient plus loin que d’habitude géographiquement. Par exemple, des personnes de Tournai sont arrivées. Même si on reste en Wallonie, en temps normal, ce n’est déjà pas le cas. Ce n’est effectivement pas le même enjeu de suivre une formation à Namur quand on vient de Tournai puisqu’on doit se déplacer. 

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Du présentiel au distanciel : trouver la bonne dynamique 

MonASBL : La formation en ligne doit entraîner de nouvelles de difficultés... 

Aline Renard : On ne peut pas demander aux stagiaires de rester attentif six à sept heures par jour face à un ordinateur, avec un formateur qui parle à distance. En plus, il n’y a ni dynamique de groupe ni interactions qui facilitent normalement l’apprentissage. Aussi, quand le formateur interpelle les stagiaires, ce n’est pas la même chose. Par exemple, on n’a pas accès à la communication non verbale. Normalement, quand des stagiaires ne comprennent pas, le formateur voit leur incompréhension. Parfois, des stagiaires abandonnent parce qu’il y trop d’informations, mais on arrive à le percevoir. On peut alors ajuster, les interpeler ou venir les chercher. À distance, c’est beaucoup plus compliqué, d’autant plus qu’on n'a pas systématiquement les webcams (ça soulage la bande passante). Parfois, un formateur va interpeler un stagiaire, mais il ne répond pas : soit l’élève est mal à l’aise, soit son micro ne fonctionne pas, soit il est déconnecté ou est parti faire une petite pause... Pour eux, suivre une formation de six heures est d’une complexité tout à fait différente que de venir participer à la formation avec le groupe. Le groupe porte chaque participant. 

MonASBL : Comment gérez-vous ces paramètres ?  

Aline Renard : On a dû s’assurer que les stagiaires étaient assez équipés à la maison. Au début, certains ordinateurs ne tenaient pas le coup ou étaient trop lents. Il y avait aussi des problèmes de connexion. Dans la vie quotidienne, on ne s’en rend pas forcément compte, mais lorsqu’on est en visio-conférence, on est vraiment déconnecté : on peut alors louper des informations. C’est difficile en tant que formateur de s’assurer de cette bonne transmission. Certains stagiaires se reconnectent après : ils nous interpellent puis on réexplique. On s’adapte, mais ça complexifie les choses. Il faut aussi prendre en compte l’environnement à la maison. La personne ne dispose pas forcément d’un endroit calme, ou peut avoir des enfants dans la pièce. Parfois, c’est toute la vie du foyer autour qui vient se mêler à la formation. Ça limite la concentration et complique l’apprentissage. 

MonASBL : Garder le lien et maintenir une bonne ambiance ne doivent pas non plus être évidents... 

Aline Renard : Oui, on essaye de travailler sur la cohésion de groupe. Dans nos formations, on essaye de porter nos stagiaires. Ils veillent les uns sur les autres. Une dynamique se met en place ce qui permet de maintenir la motivation. À distance, le lien est tout de suite moins fort.  

MonASBL : Avez-vous mis en place des astuces particulières pour créer cette cohésion ?   

Aline Renard : On essaye de mettre en place des échanges avec les stagiaires. On essaye un maximum de les faire travailler en sous-groupe. De cette manière ils peuvent activer leur micro et leur caméra, interagir et se connaître un peu plus. On essaye vraiment de s’adapter, puisqu’on a bien conscience que notre modèle s’est mis en place dans l’urgence. Au début, on pensait évidemment que la situation était temporaire... Mais elle dure. Là, il est donc temps d’avoir des formations prévues pour être données en ligne, et non juste en attendant le présentiel.  

MonASBL : Pensez-vous pérenniser ces formations en ligne ?  

Aline Renard : C’est quelque chose qu’on envisage. Le fait de donner des formations en ligne ou en présentiel n’est pas le même métier de formateur. On ne prépare pas les cours de la même manière. Pour les stagiaires, ce n’est vraiment pas la même dynamique. On a donc la volonté de pousser notre réflexion encore plus loin

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“Transmettre la dimension humaine à distance” 

MonASBL : Votre équipe est donc en télétravail... 

Aline Renard : On travaille tous à distance, mais certaines personnes retournent au bureau lorsque c’est nécessaire. Les postes administratifs ont davantage besoin d’accéder à l’imprimante, au scanner, ou aux dossiers papiers. Ils s’organisent : ils font certaines tâches lorsqu’ils sont à la maison et d’autres tâches lorsqu’ils sont au bureau. Évidemment, ils ne sont qu’une personne ou deux à la fois.  

MonASBL : Le travail est-il plus difficile à distance ?  

Aline Renard : La difficulté se trouve au niveau de la charge mentale. D’habitude, on doit simplement imprimer un document, le signer et le renvoyer. Là, on doit le mettre dans notre liste de choses à faire sur notre journée au bureau. C’est donc quelque chose qui reste à l’esprit au lieu de disparaître rapidement. De manière globale, au niveau de l’équipe de formateurs, c’est aussi plus agréable de faire des debriefings après une journée de formation. En quelques minutes, on peut communiquer sur la journée, sur les stagiaires et sur les points à garder à l’esprit. Quand on passe à distance, tout prend beaucoup plus de temps. Il faut remettre tout en contexte, tandis que les informations circulent moins simplement et moins naturellement. Tout devient plus formel : on va rédiger un mail ou autre simplement pour que l’information soit bien communiquée. Du coup, on se rend compte de la nécessité d’avoir des rendez-vous tous ensemble assez régulièrement pour maintenir le lien. 

MonASBL : Ce manque de contact, avec les stagiaires comme avec l’équipe doit en effet être assez frustrant en tant que formatrice...  

Aline Renard : Oui. Notre métier de formateur a aussi une dimension humaine : on a besoin de rencontres. C’est l’inconvénient majeur de la distance, même si c’est aussi elle qui nous permet de maintenir notre activité malgré tout... 

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ASBL non agréée : entre liberté et insécurité

MonASBL : Êtes-vous impactés financièrement ?  

Aline Renard : Oui, Interface3Namur n’est pas agréée. L’ASBL n’a donc pas de source financière régulière. À chaque fois, on doit se financer avec les projets que l’on mène. Malheureusement, beaucoup d’initiatives n’ont pas pu être réalisées. C’est le cas d’un projet d’animation dans les écoles : elles étaient fermées, il n’a pas eu lieu. Ça représente des financements en moins... En tout, trois personnes de l’équipe qui étaient en CDD n’ont pas pu être renouvelées. Financièrement, on a donc été bien touché. 

MonASBL : Vous ne touchez aucun subside structurel. Aimeriez-vous être agréé pour plus de stabilité ? 

Aline Renard : On aimerait effectivement arriver à une situation plus permanente. C’est en cours, mais ça prend énormément de temps. Avant, on ne pouvait pas avoir d’agréement parce qu’on ne rentrait pas dans les cases. Interface3Namur fonctionne au projet : c’est un peu particulier, mais ça permet beaucoup de dynamisme. On peut sans cesse renouveler nos projets ou en créer, ce qui est une grande liberté. On est vraiment acteurs dans l’évolution de l’association. Mais malheureusement, il y a aussi tout ce volet “insécurité” qui se fait ressentir dans ce genre de situations. 

MonASBL : Avez-vous peur pour la survie de votre ASBL ?  

Aline Renard : Dans l’immédiat, on a le sentiment qu’on va pouvoir continuer. On a pu réagir très vite avec nos formations en ligne. Malgré tout, il reste des points d’interrogation. Par exemple, on ne sait pas si on pourra tenir certaines formations en présentiel pour lesquelles on a été sollicité. Et si elles ne peuvent pas se faire, c’est encore des financements qui ne rentreront pas.  

MonASBL : Il existe aussi l’option du financement alternatif comme le crowdfunding...  

Aline Renard : On ne l’a pas encore envisagé, principalement par manque de recul. Même si la crise dure depuis plusieurs mois, on reste dans une situation d’urgence où on essaye au quotidien de garder la tête hors de l’eau. On concentre notre énergie sur le maintien de nos formations en distanciel et sur nos projets actuels.  

MonASBL : Si vous deviez nommer le besoin le plus urgent pour votre association, quel serait-il ?

Aline Renard : Ce serait de faire une pause dans le temps, de pouvoir prendre du recul par rapport à nos pratiques. C’est d’ailleurs ce qu’on est en train de faire. On a besoin de trouver les moyens de se former à ces changements pratiques, mais aussi de réfléchir à ces questions sans forcément que le financier soit impacté à cause du manque de projets.