Depuis le début de la crise sanitaire, d’autres crises se profilent, notamment économique et sociale. « On constate par exemple que beaucoup de personnes subissent une perte de revenus, donc il y a de nouveaux pauvres », explique Bruno Gérard, directeur de Bruxeo (confédération représentative des entreprises à profit social bruxelloises). Il cite également les problèmes liés à la santé mentale à cause de l’isolement, les violences intrafamiliales, les difficultés au niveau de l’enseignement. Sans oublier, « les personnes désinstitutionnalisées ou invisibles (les sans-abris, les migrants…) : on ne sait pas où elles sont, comment elles vont car les ASBL qui s’en occupent ont dû diminuer ou arrêter leurs activités ».
Face à ces problématiques, les associations ont encore une fois un rôle déterminant à jouer alors qu’elles-mêmes tentent de sortir de l’urgence voire luttent pour leur survie.
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« Les ASBL se retrouvent presque à faire de la sous-traitance des administrations »
« Si on continue comme ça, les ASBL ne pourront pas répondre aux besoins de la population », alerte Julie Kesteloot, coordinatrice secteurs bruxellois au sein de la Fédération des Services Sociaux (FDSS). Pour elle, les ASBL ne peuvent pas être la réponse à cette crise sociale. « Pour que les associations puissent faire un travail de qualité, il faut qu’il y ait des réponses structurelles en amont. Les ASBL ne peuvent pas distribuer des revenus ».
Pourtant, selon la coordinatrice, « les ASBL se retrouvent presque à faire un travail de sous-traitance des administrations ». En effet, avec la crise sanitaire certains services publics, comme les CPAS ou encore Actiris, et privés ont été totalement digitalisés. Bruno Gérard parle d’une « véritable barrière » notamment pour celles et ceux qui ne savent pas utiliser les outils numériques ou qui ne sont pas équipés. Ainsi, les services sociaux ont dû répondre à ces nouveaux besoins liés au manque d’accessibilité. « Certaines personnes viennent pour qu’on les aide à faire des virements bancaires. Et pour les services publics nous-même nous avons dû mal à joindre les administrations », raconte Julie Kesteloot. Une charge de travail supplémentaire à assumer avec du personnel de plus en plus fatigué.
Le personnel fragilisé
« Les pratiques de travail sont chamboulées, certains accompagnements se font à distance, et les équipes font face à des situations très dures vécues par les bénéficiaires », constate la coordinatrice de la FDSS. Ainsi, selon elle, il faudra accorder une attention toute particulière aux travailleuses et travailleurs pour qu’ils puissent tenir dans la durée.
Du côté de l’ASBL ARCA (Association Régionale des Centres d’Accueil), le constat est le même : « Il y a toute une série de services qui ont dû travailler pendant la crise, dans des conditions d’incertitude et avec l’impossibilité de se ressourcer à l’extérieur. Tout cela crée un personnel qui sera plus fragile, plus tendu, avec des risques d’absences plus importants, etc. », constate Louise Remiche, coordinatrice.
Dans ce contexte, l’un des grands défis sera de conserver l’attractivité de ces métiers en première ligne, souligne Bruno Gérard. Notamment à travers les salaires mais aussi la valorisation de l’ancienneté, par une attention toute particulière au bien-être au travail et l’encadrement des équipes.
À noter par ailleurs que les gouvernements bruxellois et wallons ont récemment accordé une prime d’encouragement de 985€ aux travailleurs du non marchand.
Des aides sur le long terme
Mais là encore, le manque de vision à long terme fragilise le travail des ASBL. À Bruxelles, 640.000€ ont été débloqués en mai 2020 dans le cadre du fonds COVID dans le but de renforcer les équipes des Centres d’Action sociale globale. « L’objectif de départ était d’avoir une aide structurelle mais là on ne sait pas si cela va être prolongé et donc si on va pouvoir garder le personnel recruté », déplore Julie Kesteloot.
Pour Louise Remiche, de l’ASBL ARCA, « il faut des moyens supplémentaires pour accueillir au mieux le public ». En effet, comme elle le souligne les structures d’accueil n’ont pas de « personnel de soin ni de personnel spécialisé dans la santé mentale. C’était déjà un problème avant la crise et ça l’est encore plus maintenant ».
Toutefois, la coordinatrice reconnait les efforts de la Région wallonne pendant la crise : « On n’est pas les plus mal lotis dans le secteur, on a reçu des aides pour couvrir les dépenses et d’autre part on a été immunisés, c’est-à-dire qu’on ne devait pas prouver un certain taux d’occupation pour percevoir le subventionnement ». Une bouffée d’oxygène accordée aussi aux associations bruxelloises pour l’année 2020. « Mais pour l’année 2021, il y a encore un point d’interrogation, rappelle Bruno Gérard. Et nous souhaitons des garanties ».
Permettre aux ASBL de se concentrer sur leur mission sociale
Le directeur de Bruxeo souligne également deux autres aspects clés pour que les ASBL puissent offrir un accompagnement social de qualité : la simplification administrative et l’accompagnement à la digitalisation. « Il faut que les opérateurs puissent se concentrer 100% sur leur mission sociale », explique-t-il. Et pour cela, il ne faut pas que les responsables ou le personnel de l’ASBL soit contraints de passer des heures à remplir des dossiers de demande de subventionnement ou encore à former l’équipe ou les bénéficiaires à l’utilisation des outils numériques.
Lors du webinaire organisé par la FDSS en novembre dernier cette même question avait été soulevée. En effet, dans la synthèse des notes des rapporteurs on peut lire : « Les politiques ne ciblent pas les réponses, les moyens en fonction des secteurs et besoins spécifiques de chaque association, de chaque quartier. Ils voient les choses de façon générale/globales mais finalement ça n’aide pas aux demandes réelles des associations. Par exemple : recevoir du matériel informatique pour lutter contre la fracture numérique, mais manquer de personnel pour accompagner les usagers à son utilisation ».
Ces points doivent d’autant plus attirer l’attention que, comme le souligne Bruno Gérard, les ASBL ont des difficultés à financer les métiers de support (secrétariat, service informatique, etc.) alors que « ces postes sont de plus en plus nécessaires ».
La nécessité de créer des liens entre les ASBL
Pour Julie Kesteloot, coordinatrice au sein de la Fédération des Services Sociaux, l’une des solutions pour faire face à cette crise se trouve dans la mise en réseau des associations par des projets collectifs communautaires. « Il faut avoir une approche par quartier, croiser les projets et croiser les ressources », continue la coordinatrice. Et ce, même entre associations de différents secteurs.
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Louise Remiche, de l’ASBL ARCA, insiste quant à elle sur la nécessité de collaborer entre les services. « A mon niveau je vais travailler avec d’autres fédérations pour avoir une meilleure connaissance des autres secteurs et voir la complémentarité sur le terrain. Ensuite, il y a aussi un travail à faire pour la réforme de la réglementation qui parfois cloisonne les services alors que sur le terrain il n’y a pas de cloisons ».
Toutes les deux sont d’accord pour affirmer que dans cette période inédite, les associations ont tout à gagner à s’ouvrir les unes aux autres. Pour cela, encore faut-il trouver le temps d’échanger. « On se rend compte que ce temps d’échange et de prise de décision commune fait partie intégrante du travail des associations. Mais c’est souvent compliqué quand doit répondre aux besoins d’un public », conclut Julie Kesteloot.
Caroline Bordecq