Une dépendance historique aux financements publics fragilisée
Il y a dix ans, les subsides publics finançaient entre 60 % et 77 % des ressources des ASBL {1}, garantissant emplois et missions essentielles. Aujourd’hui, ces financements stagnent ou diminuent selon les secteurs, sans suivre pleinement les évolutions salariales. Bien que les subsides soient a priori indexés, ils n’intègrent pas l’ancienneté du personnel, ce qui aggrave la situation budgétaire des associations. Pauline Dutron, coordinatrice des Amis de la Terre, explique : "Les subventions ne prennent pas en compte les anciennetés des travailleurs. Chaque année, on démarre avec un déficit plus important."
Certaines associations pourraient être poussées à des mesures extrêmes, comme licencier du personnel expérimenté pour embaucher de jeunes employés moins coûteux. Une option que Pauline Dutron rejette fermement, bien qu'elle reconnaisse l’ampleur du problème. De nombreuses associations identifient la recherche de financements complémentaires comme une priorité urgente pour assurer la continuité de leurs missions sociales et culturelles. La situation varie selon les secteurs. Pour Frédéric Clerbaux de l’UNIPSO, en Wallonie, les financements restent relativement stables pour les associations qui ont un agrément comme dans le secteur médical ou le handicap, pour d’autres ces financements sont plus incertains, par exemple dans les secteurs de l’aide aux sans-abris ou l’intégration des migrants.
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À cela s’ajoute des besoins sociaux croissants. En 2024, 18,2 % de la population est touchée par un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale {2}, ce qui accentue la pression sur les associations. L’urgence climatique, elle aussi, renforce le besoin d’éducation et de sensibilisation. Pour s’adapter, de nombreuses ASBL réduisent leurs coûts non fixes. Les Amis de la Terre ont tenté de "louer des salles moins chères ou gratuites, mais il arrive un moment où cela ne suffit plus." Trouver de nouvelles sources de financement devient alors indispensable.
Les donations : des revenus vitaux pour les ASBL
Les dons, sous toutes leurs formes, restent l’une des principales sources de financement privé. Ils peuvent prendre la forme de dons réguliers, de mécénat, de micro-dons, de legs ou encore de crowdfunding. Ces ressources servent à financer des projets spécifiques ou des actions sur le long terme, mais leur réussite repose sur une communication efficace et un engagement durable. Sans une stratégie solide, les résultats restent souvent décevants.
À Bruxelles, L’Ilot, reconnue pour son action en faveur des sans-abris, a élaboré une véritable stratégie pour attirer et fidéliser toutes sortes de donations. Inspirée par les grandes ONG, l’association a dû investir du temps, des ressources humaines et financières, acceptant que les résultats ne soient pas immédiats. Gaëtan Delmar, responsable de la collecte de fonds, explique : "Cela fait plus de dix ans que nous travaillons sur la collecte de fonds. Mais c’est à partir de 2017 que nous avons intensifié nos efforts, notamment en recrutant des ambassadeurs pour aller chercher des donateurs en rue." Cette stratégie a nécessité des arbitrages internes parfois délicats. Il a fallu équilibrer les dépenses consacrées à la collecte de fonds avec celles dédiées aux équipes sociales.
Selon Gaëtan Delmar, "Il faut sans cesse déterminer combien investir dans la communication et combien dans d'autres aspects clés. Certains voient encore la collecte de fonds comme un coût, alors que c’est un investissement indispensable pour assurer nos ressources à long terme. " Un poste a été créé pour gérer les gros donateurs, avec des événements spécifiques comme des dîners étoilés, visant à renforcer ces partenariats stratégiques. Fort de son expérience dans d’autres ASBL, il constate que l’importance d’investir dans la communication reste souvent incomprise. "Dans d’autres ASBL, la communication est parfois perçue comme une dépense inutile. On veut obtenir 100 en ressources financières, mais on ne veut investir que 20. Ça ne fonctionne pas comme ça. "
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Maintenir des donations régulières exige une gestion proactive et des investissements ciblés, on ne peut pas simplement compter sur la générosité spontanée des donateurs. Ces trois dernières années, grâce à ses efforts, L’Ilot a clôturé ses bilans annuels en positif, apportant à l’association une flexibilité supplémentaire pour embaucher et soutenir ses projets. Mais l’accord fédéral de la coalition Arizona apporte un vent d’aridité aux finances des ASBL. La réduction d’impôt pour les dons, passant de 45 % à 30 %, pourrait tarir les flux de générosité.
Partenariats privés : entre soutien financier et casse-tête moral
Dans leur quête de financement, les ASBL se tournent vers des appels à projets de fondations privées, qu’elles soient reconnues d’utilité publique ou liées à des entreprises, parfois accusées de redorer leur image, ce qui soulève des questions éthiques de greenwashing ou socialwashing.
Certaines structures refusent catégoriquement de s’engager dans ce type de collaboration. Chez les Amis de la Terre, on ne transige pas sur cette question, malgré les difficultés financières. "Nous ne collaborons pas avec des entreprises qui pratiquent le greenwashing. Cela serait incohérent avec nos valeurs, une ligne rouge pour nous. De plus, on veut continuer à pouvoir les critiquer." À L’Ilot, la position est plus pragmatique. Gaëtan Delmar, reconnaît les dilemmes posés par ces partenariats. "On est conscient qu’il peut y avoir du social washing, que certaines causes sont soutenues pour redorer une image. Mais ça fait partie du jeu. Ce qu’on n’acceptera jamais, ce sont les dons d’entreprises qui vont à l’encontre de notre mission sociale. Par exemple, des entreprises qui fabriquent du mobilier urbain pour empêcher les sans-abris de dormir, ça, c’est non."
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Enfin pour d’autres, les besoins financiers sont si urgents qu’ils envisagent d’accepter des financements qu’ils auraient autrefois refusés. Christina Lescot, de l’asbl Kom à la maison, un restaurant participatif et solidaire, évoque ce dilemme : "On sait que ces partenariats ne sont pas idéaux, mais si c’est une question de survie, on peut être contraints de revoir certains principes." Recourir aux partenariats privés, bien qu’essentiel, requiert une gestion rigoureuse et une vigilance constante pour préserver l’intégrité des missions associatives.
Activités commerciales : un pari délicat pour les ASBL
Pour avoir plus de moyens, des ASBL ont une activité commerciale, bien que ces initiatives restent souvent adaptées aux moyens financiers limités de leurs publics. Les Amis de la Terre proposent par exemple des ateliers à faible coût. Ces activités ne représentent qu’1 % de leur budget. La fiscalité offre néanmoins un avantage : les ASBL ne sont pas soumises à la TVA sur certaines prestations, ce qui leur permet de rester compétitives.
Cependant, Pauline Dutron reconnaît les défis liés à cette approche, "Ce n’est pas dans notre nature d’être des commerciaux. Alors c’est compliqué, nos salariés se retrouvent à faire des devis et à vendre." Pour Frédéric Clerbaux, de l’UNIPSO, "Dans le nouveau code des entreprises, un changement les invite à développer des activités commerciales : le fait que les ASBL peuvent mener des activités lucratives tant que ces activités et leurs revenus servent leurs bénéficiaires. Cette reconnaissance dans le code permet aux ASBL de se lancer, mais toutes ne peuvent pas le faire. Il faut rester dans les clous du projet, et ce n’est pas le rôle des ASBL de développer des activités commerciales. Cela peut dénaturer ou prendre du temps sur le projet initial, ce qui pose beaucoup de questions. Dans la culture du secteur en Wallonie, ce n’est pas habituel, mais les ASBL sont en réflexion."
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À Kom à la maison, les événements de team buildings pour des entreprises sont devenus essentiels pour financer les activités sociales, mais Christina Lescot avertit. "On en fait beaucoup sans trop en faire car il ne faut pas que ces activités prennent trop de place et nous fassent perdre l’essence de notre mission sociale." De son côté, la Ferme Nos Pilifs génère 35 % de ses ressources grâce, entre autres, à ses activités commerciales telles que l’entretien de jardins, la menuiserie et la vente de produits, complétées par des subsides ponctuels issus d’appels à projets publics ou privés, réussissant ainsi à conjuguer mission sociale et revenus commerciaux. Toutefois, cet équilibre repose sur des investissements importants et une gestion rigoureuse. Certaines ASBL vont plus loin et explorent les crédits bancaires pour investir, mais ces options restent souvent limitées aux structures financièrement solides.
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L’investissement immobilier constitue une autre stratégie, offrant non seulement une réduction des charges locatives, mais aussi une forme de sécurité patrimoniale. L’Ilot en partie grâce à ses dons et legs a acquis plusieurs bâtiments pour ses maisons d’accueil, consolidant ainsi son patrimoine.
La diversification des revenus : essentielle mais pas pour tous
Si elle est devenue incontournable, la diversification des revenus n’a rien d’une solution miracle. Développer des activités commerciales, nouer des partenariats ou attirer des dons demande des ressources que beaucoup de structures ne possèdent pas. Cette démarche expose également les ASBL à un risque : celui de s’éloigner de leur mission sociale, un danger particulièrement présent pour les petites associations, moins armées pour préserver cet équilibre fragile.
Ces défis mettent également en lumière les incertitudes qui pèsent sur l’avenir du secteur. La baisse des subsides, couplée à une diversification financière plus accessible aux grandes structures, risque de creuser les écarts et d’accélérer la disparition des petites associations. De plus même les structures qui réussissent à diversifier leurs revenus ne s’imaginent pas basculer vers un modèle à l’américaine ou à l’anglaise, où les financements privés dominent largement sur les subventions publiques.
Sara Abdennouri
1 Analyse comparative des structures associatives à travers le monde (Deloitte 2013)
2 Risque de pauvreté ou d'exclusion sociale (STATBEL 2025)