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VIE ASSOCIATIVE 16 décembre 2024

Bruxelles sans gouvernement : le cri d'alarme du secteur associatif

9 juin 2024 – 9 décembre 2024 : six mois après les élections régionales, la Région de Bruxelles-Capitale se cherche toujours un nouveau gouvernement. Si ce délai est devenu courant au niveau fédéral, c'est un record pour une entité fédérée. Mais un record dont il n'y a pas lieu de se réjouir… Dans une tribune publiée dans La Libre, un collectif regroupant 360 associations a ainsi tiré la sonnette d’alarme, dénonçant les conséquences potentiellement désastreuses de cet immobilisme. Parmi ces voix, celle de Christopher Collin, Directeur général de l'ASBL DUNE, active dans la réduction des risques liés à l’usage de drogues en milieu précaire. MonASBL.be a recueilli son analyse.

Signe -très relatif- d'avancée, ce jeudi 10 décembre, la commission des Finances du Parlement bruxellois a donné son feu vert à l'adoption de douzièmes provisoires pour les trois premiers mois de l'année, afin de ne pas bloquer le fonctionnement de la région bruxelloise. Si les partis de la majorité sortante ont voté pour, le MR, le PTB, la N-Va et Les Engagés se sont toutefois abstenus. Et ce, même si le chef de file bruxellois des Engagés a annoncé que son parti voterait en faveur de ce dispositif temporaire ce jeudi 17 décembre en séance plénière.

Pour comprendre les multiples enjeux traversés par le tissu associatif bruxellois, le Guide Social a rencontré Christopher Collin, Directeur général de l'ASBL DUNE, une des 360 signataires de la carte blanche publiée dans La Libre.

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« Nous sommes au bord d'un désastre social ! »

MonASBL.be : Comment analysez-vous la situation actuelle ?

Christopher Collin : Cette absence de gouvernement bruxellois est hautement préoccupante. Autre situation inquiétante : on  entend partout que les finances de la région sont à sec et donc, en ce qui nous concerne en tant qu'acteurs de la société civile et du Non-Marchand, nous n'avons toujours aucune garantie pour 2025 quant à la reconduction de certaines subventions. Parallèlement, on constate une augmentation sans précédent de la précarité et des demandes d'intervention de la part de la population bruxelloise. Ce contexte inquiétant nous a poussé à réagir avec les autres associations du secteur.

MonASBL.be : Vous dites dénoncer depuis déjà plusieurs années des problèmes de fonctionnement...

Christopher Collin : En effet, car nos financements sont insuffisants pour absorber la masse des demandes. Prenez, par exemple, le nombre croissant de sans-abris à Bruxelles, qui sont environ 10.000 aujourd'hui, alors qu'ils étaient 6.000 à 7.000 il y a 3 ans. Par ailleurs, nous disposons de subventions dites facultatives et qui sont en principe renouvelées tous les ans ou qui portent sur une, deux ou trois années. Elles doivent donc être avalisées et budgétisées par un gouvernement... que nous n'avons pas actuellement.

Certes, le parlement est en principe sur le point de voter les douzièmes provisoires, qui nous assureraient pendant le 1er trimestre 2025 de percevoir 3 douzièmes de nos subventions annuelles. Mais cela reste préoccupant, car d'une part, nous ne savons pas quand ces subventions seront versées et d'autre part, rien n'est encore établi sur la poursuite de ces subventions pendant toute l'année, alors que les besoins sont criants sur le terrain.

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MonASBL.be : Précisément, quelle est la situation sur le terrain ?

Christopher Collin : Nous sommes au bord d'un désastre social, avec des centres d'hébergement pour sans-abris qui risquent de se retrouver sans aucune solution d'hébergement d'urgence au 31 décembre en cas de non reconduction des subventions.

Ce qui nous inquiète également, c'est le nombre d'emplois qui risquent de disparaître du jour au lendemain : on parle d'une centaine d'emplois et de plusieurs dizaines de milliers d'usagers impactés au niveau du sans-abrisme, de la santé mentale, de l'accès à la culture, ainsi que les personnes victimes de violences intra-familiales. Tous les secteurs sont touchés. Le tissu associatif bruxellois est certes très résilient, mais aussi très fragile car il dépend beaucoup des subventions. Nous redoutons que ce tissu disparaisse, du fait d'un effet de rebond sur d'autres services qu'il sera impossible d'absorber.

« Nous risquons aussi de perdre des effectifs de terrain... »

MonASBL.be : Plus particulièrement au niveau de Dune, comme vivez-vous les choses au quotidien ?

Christopher Collin : Nous dénonçons cette saturation depuis la crise du Covid et l'accueil des réfugiés ukrainiens, et on ne sait toujours pas, en 2025, comment nous allons payer le matériel de réduction des risques (comme des seringues stériles) qui permet d'éviter la propagation de maladies infectieuses telles que le sida et les hépatites.

C'est très préoccupant, d'autant plus qu'à ce sujet, on évoque un budget de 150.000 euros pour la région bruxelloise. Or, à titre d'exemple, un traitement des hépatites revient à 25.000 € par an et un traitement lié au sida entre 8.000 et 10.000 € par an et par personne. Le calcul est donc vite fait. À l'instar d'autres associations, nous risquons aussi de perdre des effectifs de terrain pour l'accueil, l'accompagnement social et l'encadrement des bénéficiaires.

MonASBL.be : Avez-vous la sensation que la manifestation du Non-Marchand du 7 novembre dernier n'a pas vraiment été entendue ?

Christopher Collin : Elle était utile pour montrer qu'on pouvait descendre dans la rue, mais il faudra clairement continuer à se mobiliser dans les semaines à venir. Il est tout de même assez incroyable que ce soient les associations qui doivent aller tirer la sonnette d'alarme chez les politiques pour leur faire prendre conscience que leurs non-décisions vont avoir de lourdes conséquences pour la population bruxelloise !

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« Mais que vont rapporter ces économies ? Rien en réalité ! »

MonASBL.be : Ce jeudi 19 décembre, les douzièmes provisoires pour le 1er trimestre 2025 seront en principe votés en séance plénière. C'est une petite avancée, mais ce n'est pas pleinement rassurant pour autant.

Christopher Collin : Effectivement. Nous nous considérons clairement en sursis pour les trois prochains mois. Un rapport de la Cour des Comptes pose d'ailleurs clairement un regard critique sur la situation actuelle, et l'urgence concernant ces douzièmes provisoires ne concerne pas uniquement les associations mais aussi les administrations. Nous demandons donc très clairement que les douzièmes provisoires soient avalisés, mais aussi que les financements 2025 soient à tout le moins assurés pour poursuivre nos activités.

MonASBL.be : Vous considérez que les économies à réaliser n'en sont pas vraiment ?

Christopher Collin : Nous avons du mal à accepter ce message qui martèle à quel point il est important de réaliser des économies, compte tenu du déficit de la région. Le secteur non-marchand a pourtant déjà prouvé pendant la crise du Covid à quel point il était essentiel.

Mais que vont rapporter ces économies ? Rien en réalité, puisque les coûts que ces économies vont entraîner à moyen et long terme seront bien plus conséquents que les économies réalisées à court terme. Que se passera-t-il si nous ne sommes plus en mesure de prendre efficacement en charge les personnes qui en ont besoin ? Une dégradation de la santé physique et mentale, des risques au niveau de la sécurité en cas de réduction des effectifs, des risques de décrochage de certains publics, etc. 

Nous travaillons avec un public très précarisé, qui se retrouve confronté à un accès au logement de plus en plus difficile, de même que leur accès aux droits, car les associations qui les aident ont moins de possibilités de les accompagner. Il y a de plus en plus de sans-abris, le coût de la vie augmente terriblement..., autant de facteurs qui mettent la population sous tension. Les chiffres sont criants : Statbel relève que 35 à 40 % de la population bruxelloise vit à la limite du seuil ou sous le seuil de pauvreté. Sur un million d'habitants, cela représente près de 400.000 personnes au bas mot ! 

Ces personnes sont aujourd'hui prises en charge dans beaucoup d'associations de première ligne. Le secteur non marchand bruxellois empêche depuis de nombreuses années que le système s'effondre, mais on  arrive clairement aujourd'hui au bout ce qui est faisable. Et si on nous retire encore des moyens qui étaient déjà insuffisants, je ne vois pas comment nous pourrons limiter les dégâts.

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MonASBL.be : Face à de tels défis, la mobilisation reste donc cruciale ?

Christopher Collin : En septembre dernier, voyant que les négociations traînaient en longueur, nous avons contacté plusieurs administrations qui nous ont fait part de leurs inquiétudes. Partant de là, nous avons réuni plusieurs associations, ce qui a entraîné une mobilisation nous poussant à réfléchir sur des actions à mettre en place. Il est à souligner que cette mobilisation a vraiment été intersectorielle, grâce à une prise de conscience collective de la situation et de ce qu'il est possible d'accomplir en se mobilisant tous ensemble. Il est indispensable que les décideurs soient capables d'entendre que, sans le secteur non marchand pour s'occuper des personnes en situation de précarité ou d'exclusion sociale ainsi que des personnes confrontées à des violences physiques et sexuelles, rien ne peut fonctionner.

Propos recueillis par O.C.