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Barbara Trachte sur l’accord non-marchand bruxellois : « Le grand enjeu, c’est la valorisation du secteur »

Dans une interview accordée à MonASBL.be, la ministre-présidente de la Cocof, Barbara Trachte, revient sur les grandes mesures de l’accord non-marchand bruxellois conclu le 23 décembre dernier.

Fin décembre 2021, un nouvel accord non marchand a été conclu à Bruxelles pour la période 2021-2024. L’objectif : prévoir l’affectation des 57 millions d’euros dégagés quelques mois plus tôt (le budget initialement fixé à 30 millions d’euros avait finalement été revu à la hausse en juillet 2021).

Ainsi, après plusieurs mois de négociations, les gouvernements bruxellois (Cocof, Cocom et la Région de Bruxelles-Capitale) et les partenaires sociaux ont mis sur pied une série de mesures impactant près de 20.000 travailleurs et travailleuses du non-marchand.

Cet accord devrait permettre de rencontrer cinq objectifs : la revalorisation salariale, l’amélioration des conditions de travail, le renforcement de normes de personnel et de la mobilité et, enfin, la mise en œuvre de mesures innovantes de mutualisation et support.

Pour mieux comprendre les contours de l’accord, MonASBL.be a pu s’entretenir avec Barbara Trachte, ministre-présidente de la Cocof.

« La revalorisation passe par la question du salaire mais pas seulement »

MonASBL.be : À qui s’adresse cet accord non-marchand ?

Barbara Trachte : En premier lieu, l’accord vise le personnel qui est dans le champ d’application de l’IF-IC. (NDLR : il s’agit d’un modèle de classification de fonctions au sein des secteurs qui relèvent de la commission paritaire 330 et auxquelles des barèmes ont été attribués.)

Toutefois, la Cocof a la volonté de ne pas s’arrêter à ces secteurs-là afin de garantir une forme d’égalité avec les travailleurs des secteurs qui ne sont pas IF-IC mais qui sont similaires. Le but étant de toucher les travailleurs et travailleuses du social et de la santé, en ce compris par exemple le secteur du handicap, de l’insertion socio-professionnelle, et d’élargir aux secteurs qui n’étaient pas concernés par l’accord du non-marchand comme la promotion de la santé ou encore l’accueil des primo-arrivants. (NDLR : voire plus bas en détail les catégories de travailleurs visées par les mesures.)

On veut que les personnes qui travaillent sur le terrain puissent bénéficier de conditions de travail les plus dignes et les plus justes possible les unes par rapport aux autres.

Toutefois, comme ce sont des statuts différents et que la réalité institutionnelle de départ n’est pas identique pour tous les secteurs, les mesures prévues dans l’accord ne seront pas exactement les mêmes pour tout le monde et elles ne vont pas aller au même rythme.

MonASBL.be : Quels étaient les enjeux de ce nouvel accord non-marchand ?

Barbara Trachte : Le grand enjeu c’est la question de la revalorisation au sens de la valorisation. Evidemment cela passe par la question du salaire mais pas seulement.

Le secteur non-marchand est essentiel pour les Bruxellois et Bruxelloises et c’est l’essence même de la Cocof d’octroyer des soutiens notamment financiers à celles et ceux qui sont en première ligne et qui connaissent les besoins et les difficultés de la population. C’est vrai tout le temps mais encore plus en temps de crise, donc valoriser ce secteur était indispensable.

Notre premier combat dans ce sens a été d’obtenir ce budget de 57 millions d’euros, qui est un budget important.

Puis, il y a eu les négociations : la plus grande partie sur la valorisation salariale mais aussi sur d’autres types de mesures.

Modèle salarial IF-IC : « Il était nécessaire qu’on s’aligne pour protéger les secteurs bruxellois »

MonASBL.be : Concernant la revalorisation salariale justement, en quoi cet accord est une étape importante dans l’implémentation de la classification et du modèle salarial IF-IC ?

Barbara Trachte : Le Fédéral a décidé de revaloriser le secteur de la santé de manière assez généreuse et il était nécessaire qu’on s’aligne pour protéger les secteurs bruxellois et pour leur permettre de bénéficier de conditions de travail les plus décentes possible.

MonASBL.be : L’accord prévoit également des mesures liées à la « tenabilité » (3 semaines de congés consécutives, des horaires connues à l’avance, la stabilité des contrats de travail et la formation syndicale). Comment ces mesures vont-elles être mises en place ?

Barbara Trachte : Cela va se faire en concertation et ensuite, sur le terrain, cela devra être mis en place par les personnes qui dirigent.

Sur le plan de la gouvernance, on veut mettre en place une centralisation des instances de concertation (paritaires ou tripartites) en Région bruxelloise. Ce serait Brupartners (le Conseil économique et social de la Région de Bruxelles-Capitale) qui fournirait un soutien méthodologique et administratif à la concertation et il y aurait une cellule qui s’occuperait des questions du non-marchand.

« C’est difficile de revaloriser ou d’harmoniser des fonctions pour lesquelles il y a des statuts si différents »

MonASBL : Ce comité de concertation va-t-il permettre d’aller plus vite pour la mise en œuvre des mesures concernant le non-marchand ? Est-ce que ça va faciliter la vie des ASBL ?

Barbara Trachte : Le but c’est de faciliter la concertation, c’est un lieu presque physique. Après évidemment le but c’est que cela facilite la concertation, qui facilite à son tour la mise en place des mesures, qui elle-même facilite la vie des ASBL et qui, in fine, facilite le quotidien de Bruxellois et Bruxelloises.

On voit à quel point c’est difficile de revaloriser ou d’harmoniser des fonctions pour lesquelles il y a des statuts si différents. Ce sont des différences qu’on ne comprend que quand on connait les complexités institutionnelles belges. Ainsi, pour inverser la tendance, à Bruxelles on essaie d’avoir des politiques qui soient les plus cohérentes possible et de faire un peu fi des difficultés institutionnelles. C’est pour cela qu’on veut cette centralisation auprès de Brupartners. 

Je pense que ce n’est pas une bonne chose qu’on sépare trop les compétences de la commission communautaire et celles de la Région. Les budgets qu’on obtient pour cet accord du non-marchand sont régionaux - la Cocof n’a pas de source de financement propre, à part des dotations régionales et de la communauté française - ainsi, c’est idiot d’avoir des divisions institutionnelles alors que nous sommes une seule région. On a intérêt à avoir le plus de cohérence possible.

« Les normes d’encadrement ou la mutualisation sont là pour soulager les employeurs du secteur »

MonASBL.be : Les employeurs du non-marchand devront-ils faire des efforts pour mettre en place les mesures prévues dans l’accord ?

Barbara Trachte : Bien sûr. Si on prend les mesures liées à la « tenabilité », par exemple, cela ne repose quasiment que sur eux. Evidemment, il y a des budgets pour le faire. Puis il y a des mesures comme les normes d’encadrement ou encore la mutualisation qui sont là pour les soulager.

MonASBL.be : Concernant les mesures de mutualisation, par quoi cela pourra-t-il passer ?

Barbara Trachte : Cela pourra passer par des fonctions de support, par exemple du secrétariat, du secrétariat social..., mais aussi des fonctions de fond.

À nos yeux, l’innovation est importante. Cela nous semblait important que les différentes structures réfléchissent ensemble à ce qu’elles pourraient faire pour améliorer les services qu’elles offrent aux Bruxellois et Bruxelloises.

On a non seulement dégagé des moyens dans l’accord du non-marchand mais il y a aussi des budgets régionaux de recherche qui peuvent être activés pour réfléchir à un tas de sujets.

Par exemple, le programme de recherche Co-Create allie les pouvoirs publics, les associations, des chercheurs et des usagers ou bénéficiaires pour améliorer le service.

« Le secteur associatif et non-marchand bruxellois est notre partenaire absolu »

MonASBL.be : L’accord non-marchand est sur la période 2021-2024, y a-t-il une garantie que l’accord perdura après un nouveau gouvernement ?

Barbara Trachte : La continuité est garantie puisque c’est un accord conclu entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Et honnêtement, je ne vois pas dans le paysage politique qui pourrait dire que ce sont des dépenses inutiles.

MonASBL.be : Pour conclure, quel message souhaitez-vous adresser aux responsables d’ASBL ?

Barbara Trachte : Le secteur associatif et non-marchand bruxellois est notre partenaire absolu. On a une Région qui est jeune, pauvre, avec des populations qui rencontrent beaucoup de difficultés et une nécessité de s’émanciper à différents niveaux. La collaboration avec le secteur associatif est vitale pour les Bruxellois et Bruxelloises et donc pour nous.

En savoir plus sur l’accord non marchand

Les catégories de travailleurs et travailleuses concernées

Voici les quatre groupes de travailleurs et travailleuses visés dans l’accord non marchand :

  • Groupe 1 (CP 330 - 4 secteurs transférés) : secteurs qui rentrent dans le modèle IF-IC à 100% au 1er juillet 2022.
  • Groupe 2 (CP 318, 332 et autres 330) : secteurs qui souhaitent rentrer dans un modèle IF-IC de classification des fonctions, au 1er janvier 2024, après l’étude de faisabilité.
  • Groupe 3 (CP 319, 327 et 329) : secteurs qui participeront à une étude d’opportunité et de faisabilité IF-IC non contraignante, et mettront en place, en parallèle des mesures sectorielles spécifiques.
  • Groupe 4 :  Promotion de la Santé (COCOF) ; Bureau primo-arrivants (COCOF) ; Centre régionaux (COCOF) ; Missions locales pour l’Emploi et Locale Werkwinkels (Région de Bruxelles-Capitale) ; Economie sociale mandatée en Insertion (Région de Bruxelles-Capitale).

Les prochaines échéances

  • Mesures de « tenabilité » : Les premiers effets devraient être visibles dès le mois d’avril 2022, « pour peu que des accords soient entérinés en commissions paritaires. Les discussions sont déjà en cours ».
  • Les revalorisations salariales : Une information pourrait être attendue à partir du 2ème semestre 2022 et les retombées pécuniaires en fin d’année. « L’opérationnalisation des mesures nécessite des discussions entre partenaires au sein de nombreux groupes de travail, dont les décisions seront elles-mêmes entérinées en conventions collectives de travail et transposées dans les réglementations ».
  • Les autres mesures : « Les administrations travaillent également à la création de différents dispositifs techniques qui permettront de produire des effets sur les associations. Mais si certaines mesures dépendent des moyens budgétaires progressifs, elles sont aussi parfois complexes et devraient entrer en vigueur au 1er janvier 2023. C’est par exemple le cas pour la mobilité STIB. »

Caroline Bordecq