anm
UN SITE DE L'AGENCE POUR LE NON MARCHAND
Informations, conseils et services pour le secteur associatif
Informations, conseils et services pour le secteur associatif

Un espace partagé pour les arts de la scène : la mutualisation au service des ASBL culturelles

Depuis janvier 2025, un nouveau pôle de mutualisation des arts de la scène a vu le jour en Wallonie, porté par le Théâtre National de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans ce lieu, une trentaine d’acteurs culturels partagent un espace, leurs ressources et leurs savoir-faire, pour répondre aux enjeux économiques et logistiques du secteur.

Près de 2.000 m2 de stockage partagé, des ateliers de construction et des formations à disposition des partenaires : en janvier 2025, un pôle de mutualisation des arts de la scène, porté par le Théâtre National, a vu le jour à Manage (Province du Hainaut). L’objectif ? Offrir des solutions concrètes face aux enjeux logistiques, économiques et écologiques du secteur culturel.

À la manœuvre, une trentaine de structures déjà partenaires organisées autour d’un fonctionnement collaboratif. Yvan Harcq, directeur du pôle, nous raconte la genèse de cette initiative, son fonctionnement et explique comment la mutualisation peut être une réponse aux enjeux actuels, sans devenir un prétexte pour un désengagement des autorités publiques.

Gérer autrement les décors du théâtre : retour sur la création d’un atelier partagé

MonASBL.be : Comment est né ce projet ?

Yvan Harcq : C'est un projet qui a d’abord été imaginé par Fabrice Murgia, l’ancien directeur général artistique du Théâtre National. Le rêve était d'ouvrir un atelier et un espace de stockage à un grand nombre de partenaires. Puis, il y a eu une réflexion sur la pérennité des décors, qui après une production sont entreposés, détruits ou jetés, et très peu réutilisés ; sur la durabilité, pour être moins impactant ; et sur le partage de savoir-faire.

En 2021, nous avons réuni un comité concertation, composé d’une quinzaine de responsables techniques, artistes, concepteurs, metteurs en scène et dirigeants de théâtres et compagnies. Pendant un an et demi, nous nous sommes concertés une fois par mois, pour s’accorder sur les objectifs et essayer de comprendre comment y répondre.

MonASBL.be : Dès le départ, le projet a été collaboratif.

Yvan Harcq : Si on voulait répondre aux besoins du secteur et si on voulait que la solution soit portée par le groupe, il fallait le faire de manière collaborative.

MonASBL.be : Combien de temps a pris la mise en place du projet ?

Yvan Harcq : Après cinq mois de recherche, nous avons trouvé un lieu en location, à Manage, en 2023. Puis, il y a fallu un an de travail pour le développement du projet, son aménagement, le financement des travaux…

On a commencé à aménager les lieux en novembre 2024, et nous avons commencé à y travailler en janvier 2025.

Un modèle de gouvernance collaborative

MonASBL.be : Le projet est financé par le théâtre national.

Yvan Harcq : Tout à fait. Nous étions sur un investissement d’un million d’euros.

Le Théâtre National avait déjà un budget d’environ 400.000 euros par an pour le fonctionnement de ses anciens ateliers (pour le chauffage, les loyers, les salaires des constructeurs et constructrices, etc.) et cette somme participe au financement de ce nouveau projet, principalement pour payer les salaires.

Le projet ayant mis du temps à être développé, nous avons pu capitaliser pendant deux ans et injecter 800.000 euros de fonds propres.

Aussi, nous avons reçu 400.000 euros de la région wallonne, pour aménager les lieux, et 30.000 euros de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

MonASBL.be : Qui sont les partenaires du pôle ?

Yvan Harcq : Les partenaires sont des structures reconnues par la Fédération Wallonie Bruxelles, subsidiées ou non. Le partenaire signe une convention qui définit notamment sa cotisation, fixée en fonction du niveau de subsides reçus. Le montant de la cotisation est entre 100 et 1000 euros par an.

Pour le moment, il y a une trentaine de partenaires, dont six grandes structures et une vingtaine de compagnies. Pour être représentatif et au service du secteur, nous en visons une centaine.

MonASBL.be : En plus du stockage et des ateliers [voir les services détaillés plus bas], le partage de savoir-faire est un élément important au pôle. Comment cela se concrétise ?

Yvan Harcq : D’abord, nous mettons en place des bases de données, qui seront accessibles début 2026, où l’on référence tout ce qu'on a dans le stockage et où l’on liste nos savoir-faire, ceux de nos partenaires, et ceux dont on a écho.

Aussi, nous avons un espace de 400 m2, dont la moitié est destinée à un espace de bureau partagé, où les partenaires peuvent venir travailler lors de la phase de développement de leur projet, et l’autre à la formation. Notre idée, c'est de se dire qu’entre les ateliers, le stockage et le grand plateau, il y a toute une série d'éléments permettant de réaliser des formations appliquées. Nous proposons donc à des organes formateurs d'utiliser nos ressources pour donner des formations plus pertinentes.

L'intérêt c'est aussi de faire en sorte que tous les partenaires soient plus collaboratifs dans leur fonctionnement, si possible avec les partenaires du pôle, mais aussi avec l'extérieur.

Dans cette démarche, nous avons également mis en place une gestion qu'on veut la plus collaborative possible.

MonASBL.be : C’est-à-dire ?

Yvan Harcq : Nous avons un conseil de gestion, composé d’une vingtaine de personnes membres des structures partenaires, qui se réunit tous les mois pour discuter de thématiques et des décisions à prendre. Le but de ce conseil est de se faire l’écho des positions des membres.

Ce comité de gestion n'est pas un conseil d'administration qui aurait un pouvoir décisionnel sur tout, car aujourd’hui c’est encore le Théâtre National qui mène le projet avec son CA, et qui en assume les risques financiers.

MonASBL.be : Cela va changer ?

Yvan Harcq : L'objectif est de sortir de cette de cette tutelle du Théâtre National à relativement court terme. L'idée est qu’on soit complètement autonome et que le Théâtre National soit un des partenaires.

Mutualiser sans se substituer aux pouvoirs publics

MonASBL.be : Quelles sont les limites ou les difficultés auxquelles vous avez été confronté lors de la création de ce pôle ?

Yvan Harcq : Il y a la question financière et la gratuité. Comment être impactant sur les coûts à travers la mutualisation et dans un apport collectif ?

L'autre difficulté est de créer une relation de confiance. Le Théâtre National est l’institution en Fédération Wallonie-Bruxelles qui va chercher le plus de subventions et c'est toujours suspect. Ce n’est pas toujours évident d’établir un lien de crédibilité et de faire comprendre que cette gestion collaborative, c'est une réalité et pas seulement une théorie.

MonASBL.be : Dans un contexte où les enveloppes pour les secteurs associatifs sont de plus en plus restreintes, la mutualisation est-elle désormais incontournable ?

Yvan Harcq : A condition qu’elle ne soit pas la seule manière de sauver la face et ne soit pas une façon de fonctionner avec zéro moyen.

Une mutualisation qui fonctionne, c'est une mutualisation qui est faite de ressources réelles. Si nos entrepôts sont vides et si nos outils ne sont pas fonctionnels, on ne pourra pas être au service du secteur. La question du subventionnement, la manière dont les partenaires vont investir, apporter des ressources, c'est essentiel. Il faut se battre pour que les subsides vers la culture existent.

MonASBL.be : En d’autres termes, la mutualisation ne doit pas être un prétexte pour un désinvestissement des autorités publiques.

Yvan Harcq : Non, sinon c'est la catastrophe !

Propos recueillis par Caroline Bordecq

Le pôle mutualisation, comme ça marche ?

Le site est constitué de deux espaces de 1900 m2 chacun : un pour le stockage et l’autre pour la partie ateliers et plateau.

Les services sont les suivants :

1. Le stockage

Le partenaire peut louer un espace pour stocker son décor en exploitation. Le prix : 55 euros par mètre carré, par an. A noter, 70% de la somme payée par le partenaire est déduite de la main d’œuvre qui lui sera facturée pour la réalisation de décor.

A côté de ces espaces privatifs, il y a des espaces mutualisés. Le concept : les porteurs de projets peuvent y déposer des éléments de décors, que les autres partenaires peuvent utiliser gratuitement. « On incite les gens à se désapproprier des avoirs et faire en sorte que des ressources passent de la propriété privée à la propriété collective », explique Yvan Hacq. Ces espaces mutualisés sont financés grâce à la location des espaces privatifs.

Enfin, une zone de stockage est prévue pour les ressources qui ne peuvent pas être transformées. Ces dernières restent la propriété du partenaire, mais sont gérées par le Pôle et peuvent être utilisées par d’autres. Exemple : les Halles de Schaerbeek ont stocké une scène qu’ils utilisent quelques mois dans l’année et qui est mise à la disposition des partenaires le reste du temps. Dans ce cas, le propriétaire ne paye pas pour le stockage mais il ne perçoit aucun retour, le montant qui est payé par les partenaires pour utiliser le matériel sert à financer les frais d’entretien.

« Dans notre pôle, nous allons toujours chercher à comprendre comment répondre à un besoin privatif, en créant un retour vers l’utilisation collectif », reprend le directeur du Pôle.

2. Les ateliers et le plateau

L’autre grande surface se divise entre les ateliers et le plateau.

Sur le plateau, les partenaires peuvent concevoir de nouvelles scénographies, les finaliser et permettre à des équipes artistiques de les appréhender, ou encore mettre en place des prototypes. L’utilisation est gratuite.

En ce qui concerne la construction, les partenaires ne peuvent pas utiliser seuls les ateliers. Ils peuvent apporter leurs savoir-faire et leurs mains d'œuvre s'ils le souhaitent, mais ils doivent financer au moins un constructeur ou une constructrice du Pôle. « C’est à la fois dans un objectif de bonne utilisation et de pérennité des outils, mais aussi de partage des savoir-faire », explique Yvan Hacq.