Dans un contexte où les subventions publiques sont de plus en plus incertaines, nombreuses sont les ASBL qui se questionnent sur l’avenir. Du côté de la CSD (Centrale de services, d'aides et soins à domicile) Bruxelles, on a choisi de reprendre à son compte la devise même de notre plat pays : l’union fait la force. Sous la bannière d’une initiative baptisée Alliance Otonom, la CSD Bruxelles, les ASBL SIREAS-SASB-FAE, le Projet Lama, POUR LA SOLIDARITÉ-PLS, Gammes ASBL, Bras dessus Bras dessous, GAMS Belgique et Solidarimmo s’unissent pour renforcer leur impact social, mutualiser leurs ressources et construire une dynamique collective, tout en conservant leur autonomie.
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"Nous n’arrivons plus à dégager de moyens supplémentaires pour de nouveaux projets et nous sommes seuls face aux mêmes questions et difficultés"
MonASBL.be : D’où est partie cette initiative, et quel rôle avez-vous joué?
Stéphane Heymans : Il faut savoir que la CSD et Soin chez Soi (SCS) forment déjà un groupement associatif, dont j’assure la direction depuis quatre ans et demi. L’alliance Otonom est en quelque sorte le prolongement de cette dynamique, un projet (inspiré notamment du groupe SOS français) qui était déjà dans ma tête et dans la tête de beaucoup d’autres depuis près de 10 ans. Il est grand temps de mutualiser le secteur non-marchand. Le constat (déjà en 2016) est simple : d’une part, nous n’arrivons plus à dégager de moyens supplémentaires pour de nouveaux projets ; et d’autre part, nous sommes souvent seuls face aux mêmes questions, aux mêmes difficultés tant financières que administratives. Aujourd’hui et grâce à l’appel à projets sur la mutualisation de l’accord non-marchand lancé par la COCOF, nous avons souhaité relancer une dynamique intersectorielle de mutualisation associative.
MonASBL.be : En 2016, vous aviez déjà lancé une telle initiative, qui s’était soldée par un échec.
Stéphane Heymans : Effectivement et ce pour deux raisons. D’abord, je pense qu’il y avait à l’époque trop de personnes autour de la table, à la fois des acteurs de terrain mais aussi des fédérations, des acteurs de première et de seconde ligne, etc. Et ensuite, parce que nous avons tenté de mutualiser des services parmi les plus complexes, à savoir le volet informatique de nos activités. Avec un coût très important, sans forcément de support financier adapté. Il y a eu beaucoup d’épuisement, et le projet s’est finalement dilué.
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Construire la confiance à sept et avancer autour de trois axes communs
MonASBL.be : Qu’est-ce qui rend ce nouveau projet plus viable, selon vous?
Stéphane Heymans : Ce qui rend le projet Alliance Otonom plus solide, c’est son caractère plus délimité. Nous sommes un groupe de sept associations, avec une volonté de construire une confiance forte au travers d'un nombre limité de partenaires. Tous les directeurs se retrouvent autour de la table dans le comité de pilotage, avec une vraie conscience du contexte et une volonté commune de prendre le destin de nos associations en main, avant qu’on le fasse à notre place. Bien sûr, cela implique d’être ouvert avec l’idée de laisser tomber un peu de pouvoir, de mettre des choses en commun et de laisser tant nos propriétés que notre ego de côté pour tendre vers un objectif partagé : mieux suivre nos bénéficiaires et mieux accompagner nos travailleurs.
MonASBL.be : A propos de cette mise en commun, à l’heure actuelle, vous travaillez sur trois axes.
Stéphane Heymans : Premièrement, la construction du "nous", qu’est-ce qui nous encourage à collaborer? Par notre caractère intersectoriel, nos bénéficiaires peuvent être tant des personnes âgées ou en perte d’autonomie (CSD-SCS) que des personnes ayant des addictions (Lama), ou des personnes victimes de VSS (Gams Belgique, pour les MGF). Le public final est très différent, nous avons donc construit un socle commun, une charte qui résulte de tous ces contextes, et nous avons mis en place une gouvernance légère pour le pilotage du projet. Deuxièmement, nous avons développé toute une série de communautés de pratique au sein de nos équipes, pour que chacune puisse se rencontrer et échanger autours de leurs enjeux communs. Depuis le mois de septembre, cela crée des liens de confiance et renforce les relations inter-associations, autour de problématiques transversales. Nous avons également créé, toujours dans cette idée de collectivisation, une bibliothèque avec toute une série d’outils émanant de chaque association (règlement de travail, formulaires d’évaluation, profils de fonction, …) pour créer un savoir commun.
Enfin, le troisième axe (que nous devrions lancer l’année prochaine) est celui de la mutualisation d’équipes et de services. Par exemple, nous envisageons de partager une fonction de veille sur les financements européens, mais aussi d’avoir un poste chargé d’explorer la mutualisation de véhicules, de salles de réunion, etc. Une autre piste, c’est par exemple la mutualisation de call centers, parfois peu utilisés dans certaines associations et qui pourraient bénéficier à d’autres. Cela étant dit, ce dernier axe touche plus à l’organisation interne de chaque structure, et c’est quelque chose que nous ne construirons que lorsque la confiance sera bien installée entre les directions mais aussi entre les équipes.
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"Notre but ? Stimuler les échanges et la mutualisation pour améliorer nos services, et l’accompagnement de nos travailleurs !"
MonASBL.be : Comment cette dynamique se construit-elle au sein des équipes? Avez-vous déjà pu constater des effets positifs?
Stéphane Heymans : C’est dans les communautés de pratique où l’évolution est la plus frappante, notamment dans les fonctions de support où l’on est souvent assez seuls face à leurs défis. Il y avait pas mal d’appréhension au départ, mais le fait de rencontrer des pairs qui sont face aux même problématiques a permis à certains de déjà trouver des solutions issues d’autres associations, tout en partageant des bonnes pratiques, des ressources, selon les avancées de chacun. A terme, notre objectif est que ces personnes puissent prendre leur téléphone et contacter directement leur homologue, pour décomplexer cette idée d’entraide et de coopération.
MonASBL.be : Recommanderiez-vous ce type d’initiatives à d’autres associations, et quels seraient vos conseils pour une telle mise en place dans d’autres cadres?
Stéphane Heymans : Je suis convaincu que la mutualisation est une des clés du monde de demain, où la raréfaction des ressources va de pair avec la complexification des cas. Cela permet également, pour le bénéficiaire, plus de lisibilité sectorielle. Ce n’est pas LA solution, il y en a d’autres, mais ce que je tiens à souligner est inscrit dans le nom de notre projet : l’autonomie. Notre but n’est pas de créer une gouvernance supra-associative, mais bien de stimuler les échanges et la mutualisation pour améliorer nos services, et l’accompagnement de nos travailleurs. Le point d’attention lorsqu’on se lance dans ce type de projet, c’est de savoir ce que l’on est prêt à mettre en commun, et avec quel degré de confiance. Si on rassemble uniquement des gens avec des besoins, cela ne pourra pas fonctionner. Chaque association doit apporter une valeur ajoutée, tout en gardant son autonomie. Cela prend du temps, mais je pense que c’est très précieux, et indispensable pour créer les bases solides d’une mutualisation durable et bénéfique pour tous.
Propos recueillis par Kévin Giraud