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Journal de bord d’une présidente : présider, c'est leader, concilier ou éteindre le feu ?

Quand on m’a posé la question "Présidente, c’est plus souvent être leader, médiatrice ou pompier ?", je n’ai pas hésité longtemps : pour moi, être présidente d’une association, c’est avant tout être leader ! Cependant, avec un peu de recul, je me suis dit que ce rôle était bien plus diversifié ; ce qui m’a donné envie de développer davantage ma vision dans le cadre d’un nouvel épisode du journal de bord.

Être leader : motiver, impulser, organiser

Aujourd’hui chez AJILE, nous sommes douze administrateurs et administratrices. Selon nos statuts, il nous faut la présence ou la représentation d’au moins la moitié d’entre nous pour valider une réunion de l'organe d'administration (OA) et y prendre des décisions. Bien que cela puisse sembler anodin, cette exigence demande une organisation pratique rigoureuse et beaucoup d’énergie.

Pour moi, c’est là que commence le rôle de leader : relancer, motiver, rappeler l’importance d’être présent·e, expliquer pourquoi la vie démocratique de l’association repose sur l’implication active de toutes et tous. Dans nos vies bien remplies, où nous jonglons avec un travail et/ou des études, une vie familiale et d’autres engagements, cette mobilisation n’a rien de facile.

C’est aussi pendant les réunions que le rôle de leader s’exprime : lorsqu’une discussion s’éternise, lorsqu’un point reste bloqué, il faut pouvoir proposer une synthèse, prendre des initiatives, avancer des propositions concrètes… Parfois, la décision est de reporter la discussion dans une autre réunion ou de créer un groupe de travail pour explorer davantage une question. Il est donc nécessaire de trancher, non pas pour imposer un choix, mais pour sortir du flou, créer un chemin sur lequel le groupe peut avancer et se retrouver.

Ce tempérament de leadership m’est assez naturel, mais je sais que ce n’est pas donné à tout le monde. Il faut être capable de ne pas rester en retrait, être prêt·e à prendre des initiatives et à faire bouger le collectif même dans les moments d’incertitude.

Être médiatrice : écouter pour construire

Si je me définis d'abord comme leader, je dois aussi, dans certaines situations, endosser un rôle de médiatrice, notamment quand des malentendus ou des tensions surgissent.

Je me souviens d’une réunion en ligne où une situation est venue perturber le déroulement. Une jeune administratrice participait depuis un café, faute de pouvoir être au calme chez elle. Le bruit ambiant gênait la fluidité des échanges, ce qui a provoqué un moment de tension dans le groupe.

Cette situation, anodine en apparence, révélait des réalités plus profondes : les difficultés matérielles que certain·es jeunes rencontrent pour s'engager pleinement et le besoin d'adaptation du collectif à ces réalités. Pour rappel, AJILE est une organisation de jeunesse et à ce titre, elle doit intégrer 2/3 de personnes de moins de 35 ans dans ses instances (organe d’administration et assemblée générale) ; il est donc essentiel de prendre en compte la réalités des plus jeunes d’entre nous, qui est souvent bien différente de celles de personnes déjà établies dans une vie active.

Aussi, après la réunion, j’ai pris le temps d’échanger personnellement avec la jeune administratrice. Ce temps d’écoute a permis de mieux comprendre ses contraintes et son ressenti. Il en est ressorti qu’elle avait des difficultés à trouver sa place et s’affirmer face à des personnes plus anciennes et plus âgées. J’ai également pu partager cette réalité avec d’autres membres de l’OA, dans un esprit de sensibilisation. À l’issue de ces discussions, une dynamique apaisée s’est réinstallée, chacun·e ayant pu mesurer combien il est essentiel d'aborder chaque situation avec bienveillance et compréhension.

Cet épisode m’a confortée dans l’idée qu’il serait utile de développer des systèmes de parrainage ou de marrainage pour accompagner les nouvelles recrues, et notamment les plus jeunes, dans leur prise de fonction. En effet, favoriser l'inclusion demande du temps, de l'attention, et surtout un cadre où chacun·e se sent accueilli·e dans sa réalité. Aujourd’hui, cette jeune administratrice est force de proposition, elle coordonne notamment un groupe de travail autour de la communication.

Être pompière : garder la tête froide dans l’urgence

Autant que possible, j’essaie d’éviter, d’endosser le rôle de pompière. En effet, mieux vaut prévenir que guérir. Mais bien sûr, il arrive que des situations d’urgence surgissent : un désaccord qui explose, un quorum qui n’est pas atteint à la veille d'une réunion cruciale, une communication externe qui suscite débat.

Comment je gère cela sans m'épuiser ou paniquer ? Quand je suis dans mon rôle de présidente, je suis capable de prendre du recul et de me décentrer de mes émotions personnelles. Aussi, dans les situations tendues, je m’efforce de laisser de côté mes réactions personnelles pour me concentrer sur ma responsabilité de présidente : garantir un cadre stable et respectueux.

Cela m’aide à garder mon calme et à prioriser rapidement : que faut-il régler en urgence ? Qu’est-ce qui peut attendre ? Qui peut être mobilisé en appui ? Comment résoudre cette tension ?

Lire aussi : Journal de bord d’une présidente d’ASBL : "Mon quotidien à la tête d’AJILE"

Un style participatif et diplomate

Avec le recul, je définirais mon style de présidence comme participatif et diplomate.

Par exemple, j’ai mis en place un document Excel partagé, où chacun·e peut proposer librement des points pour l’ordre du jour des réunions de l’OA, sans devoir passer par moi. Même si ce sont surtout la coordinatrice et moi qui l’alimentons, l’outil est là, ouvert, prêt à être investi par qui le souhaite. Cela permet de prévenir et éviter certaines tensions ; si des administrateur·rices choisissent de ne pas utiliser cet outil, cela leur appartient.

Dans toutes les situations, je m’efforce aussi de créer des ponts et maintenir la communication. En effet, dans une association qui prône l'émancipation, la participation et la solidarité, il serait incohérent d'avoir une gouvernance autoritaire.

Être présidente, pour moi, ce n’est pas tout décider. C’est organiser les conditions de la discussion, écouter et faire en sorte que les décisions puissent être prises dans un climat serein.

Préserver mon engagement dans la durée : un enjeu invisible mais essentiel

Quand on occupe un mandat de présidente bénévole, il y a un risque que l’on sous-estime souvent : l'usure. À cause de la surcharge de travail, certes, mais aussi de l’énergie émotionnelle que demande la gestion du collectif : motiver sans imposer, arbitrer sans froisser, avancer sans épuiser les autres ni soi-même. Pour préserver l'engagement dans la durée, j'ai appris à me fixer quelques règles simples mais indispensables :

  • Ne pas attendre l'épuisement pour demander de l'aide : dès que possible, déléguer, impliquer d'autres administrateur·rices sur certains suivis ou certaines décisions ;
  • Valoriser les petites réussites : ne pas attendre l’aboutissement d’un grand projet pour reconnaître les efforts du collectif. Chaque réunion tenue, chaque décision prise dans un bon climat est déjà une victoire ;
  • Se rappeler que l'association ne repose pas sur une seule personne : même en cas d'absence, même si tout n'est pas parfait, la dynamique associative continuera à vivre !

Préserver l'engagement, c’est aussi accepter l’imperfection : il y aura des moments de creux, des hésitations, des tensions. Ils ne sont pas des échecs, mais le signe que nous travaillons avec du vivant, des personnes. Finalement, présider une ASBL, ce n’est pas uniquement organiser, animer, décider. C’est aussi savoir prendre soin du collectif, cultiver la confiance sur le long terme et permettre à chacun·e de trouver sa place à son rythme.

Présider, une construction patiente et collective

Me concernant, prendre la présidence d’AJILE n’a jamais été un exercice solitaire. C’est un travail d’impulsion, de coordination, mais aussi d’écoute et de construction collective. Au fil des mois, j'ai compris que présider ne consiste pas à tout décider, ni à tout porter sur ses épaules, mais à faire vivre un cadre qui permet au collectif d'agir.

  • Être leader, c’est savoir proposer une direction quand l’hésitation s’installe, encourager les énergies quand la motivation faiblit, trancher avec respect quand les chemins divergent.
  • Être médiatrice, c’est reconnaître la diversité des parcours et des vécus, accueillir les désaccords sans en faire des lignes de fracture, rappeler que chacun·e a une place à construire dans le projet commun.
  • Être pompier, enfin, c’est parfois savoir gérer l’urgence, protéger l'association de l'emballement émotionnel, sans jamais céder à la panique ou à la précipitation.

Au fond, mon rôle consiste à cultiver l’équilibre entre l’élan et la patience, entre la prise de décision et l’écoute, entre l’exigence et la bienveillance. C’est un chemin exigeant, parfois éprouvant, mais profondément enrichissant. Sur ce chemin, j’apprends tous les jours : à mieux comprendre les autres, à mieux me comprendre moi-même et surtout à faire confiance aux processus collectifs.

Ce que je retiens surtout, c’est que rien ne se fait seul. Chaque avancée est le fruit d'un engagement partagé, d'une confiance tissée patiemment, d'une volonté commune de faire vivre nos valeurs de démocratie, d'émancipation et de solidarité. Et c'est, plus que tout, ce qui me donne l’envie de continuer.

Lire aussi : Les obligations et responsabilités du président d’ASBL

5 conseils pour jongler entre leadership, médiation et gestion de crise

  1. Anticiper plutôt que réagir : mieux vaut prévenir les difficultés en amont que de devoir gérer une crise dans l'urgence ;
  2. Soutenir sans tout porter : écouter, accompagner, mais laisser les autres prendre leur part de responsabilité ;
  3. Créer des espaces d’expression réguliers : ouvrir des temps où chacun·e peut déposer ses idées, ses doutes ou ses tensions ;
  4. Faire preuve de souplesse dans les désaccords : accepter que tout le monde ne soit pas toujours aligné à 100 %, sans pour autant laisser tout se fragmenter ;
  5. Prendre du recul émotionnel en situation tendue : incarner son rôle de présidente sans se laisser déborder par ses propres émotions personnelles.

Caroline Watillon