L’ASBL Trempoline est devenue un acteur incontournable dans le secteur des assuétudes. A maintes reprises, l’institution s’est distinguée dans l’accompagnement des personnes toxicomanes et de leur entourage (projet mère-enfant, programme avec les jeunes, action en milieu carcéral, etc.).
Récemment, Trempoline a remporté un appel à projets de la Fondation Roi Baudouin relatif au bien-être des travailleurs. Une étape de plus pour cette association déjà fortement dynamique en la matière. Et pour preuve, ses actions menées à travers le Conseil en Prévention au Travail et au Bien-être, son programme de prévention du burn-out ou encore les nombreuses formations, supervisions et voyages d’études proposés aux collaborateurs de l’institution.
Pour l’heure, grâce au précieux soutien de la Fondation Roi Baudouin, l’institution va proposer à ses collaborateurs des supervisions individuelles et des supervisions d’équipes, ainsi qu’une journée de teambuilding pour retrouver une atmosphère communautaire et un esprit d'adhésion au projet de l’association.
Anxiété, fatigue, perte de sens au travail…
Comme l’écrit la Fondation Roi Baudouin, après presque deux ans de crise sanitaire, le personnel de l’aide et des soins est particulièrement éprouvé, tant sur le plan physique que psychologique. Sur le terrain, les symptômes de mal-être sont nombreux : anxiété, fatigue, perte de sens au travail…
Alertée par cette problématique, la Fondation Roi Baudouin a décidé d’orienter le dernier appel de son Fonds pour des soins solidaires vers le soutien à des initiatives qui participent à la lutte contre les symptômes de stress chronique dans les structures de soins résidentiels. L’ASBL Trempoline figure parmi les 24 organisations soutenues dans le cadre de ce Fonds dont le montant total s’élève à 512.544 euros.
Comment veiller au bien-être des travailleurs au sein de son ASBL ?
MonASBL.be : Pourquoi l’ASBL Trempoline a-t-elle décidé de répondre à l’appel à projet de la Fondation Roi Baudouin ?
Natacha Delmotte : Au sein de Trempoline, nous sommes dans un lien thérapeutique très important avec les patients. Celui-ci a été malmené durant la crise du Covid-19. Notre seuil d’exigence en termes d’hygiène était déjà très élevé avant la pandémie en raison du public que nous accueillons (certaines personnes se présentent avec des pathologies comme la tuberculose, la gale, l’hépatite ou encore le sida), nous l’avons accentué en raison de la crise sanitaire. Ce respect des normes et cette vigilance ont pu occasionner une perte de contact avec nos patients.
Nous avons été contraints, au plus fort de la crise, d’isoler les personnes qui rentraient à Trempoline. Imaginez un peu… Quand vous avez fait 20 ans d’incarcération et qu’on vous reçoit à 1m50 de distance, qu’on vous met dans une pièce de 8 m² pendant 10 jours…
Au-delà des mesures relatives à l’accueil de nos patients, nous avons dû instaurer le télétravail et compartimenter les locaux : nous ne pouvions même plus nous voir entre collègues pour respecter les normes édictées par l’AVIQ.
C’est dans ce contexte très difficile que je me suis rendu compte que les travailleurs qui ont été investis, engagés et exemplaires durant les deux années de pandémie ont senti une perte de sens dans le lien qu’ils pouvaient avoir avec les patients.
MonASBL.be : Quels étaient les signes des difficultés éprouvées par les travailleurs ?
Natacha Delmotte : Le taux d’absentéisme a été très bas au sein de l’institution. Personne n’a quitté l’institution, personne n’a fui ses responsabilités. Tout le monde s’est montré très raisonnable, très investi. Avec la volonté surtout d’accueillir et d’accompagner les résidents.
Mais cette bonne volonté, elle a un coût. En énergie. En fatigue. En motivation. Je serais naïve de penser que tout le monde a traversé le Covid de manière sereine au sein de l’institution. Je sais que la crise sanitaire a impacté des familles et certains membres du personnel qui étaient déjà très seuls, à la base. Nous avons, parmi nos collaborateurs, des familles monoparentales et des personnes qui n’ont pas de famille. Je ne pense pas qu’une direction doit se dire que tout va bien uniquement parce que l’institution n’a pas souffert d’un taux d’absentéisme important.
Notre institution est face à des enjeux importants et c’est primordial d’être transparent à cet égard. Nous vivons, par exemple, une crise financière importante : nous craignons aujourd’hui les suites de la crise sanitaire et la flambée de certaines dépenses. Malgré cette situation, nous avons toutefois conservé tous les emplois et continué à payer nos factures rubis sur l’ongle. Par ailleurs, notre institution comme beaucoup d’autres, est confrontée à un coût de l’énergie exorbitant.
Ces éléments occasionnent chez certains travailleurs une peur de perdre leur emploi qui est renforcée par un contexte général peu rassurant : pertes d’emploi dans d’autres structures, nécessité actuelle d’avoir deux salaires et non plus un seul comme dans le temps, etc.
Je suis intimement convaincue que si les travailleurs ne sont pas au top et ne vont pas bien, les résidents n’iront pas bien non plus. Et pour être bien dans son travail, il faut y mettre du sens et de la motivation.
"Plus on se forme, plus on a le choix de ne pas rester à son poste par dépit"
MonASBL.be : Ce sont tous ces éléments qui vous ont donc poussé à répondre à l’appel à projet de la FRB. Pourquoi avoir choisi de réaliser des supervisions et un teambuilding ?
Natacha Delmotte : Nos structures ont des budgets réduits en matière de formation, de supervision et de teambuilding. Or, je pense que dans le social, ces aspects doivent être primordiaux. Nous prônons la formation et la supervision à Trempoline. Chaque année, l'Organe d’Administration de notre ASBL décide avec l’Assemblée générale et la Direction générale de mettre un budget à disposition des travailleurs pour qu’ils puissent se former. Nous sommes persuadés que plus on se forme, plus on a le choix de ne pas rester à son poste par dépit.
Si nous avons besoin d’argent à Trempoline, c’est aussi parce que nous encourageons fortement notre personnel à reprendre des études. Nous les motivons à retourner à l’école pour pouvoir changer de grade. C’est important qu’ils puissent avoir le choix de leur carrière et de ne pas se dire qu’ils restent à Trempoline parce qu’ils n’ont pas d’autre alternative. Les pousser dans cette voie, c’est les aider et ça participe aussi à la prévention du burn-out. Dès que nous pouvons nous le permettre, nous octroyons des congés éducation et nous pouvons même participer au paiement de l’inscription. En échange, nous demandons une attestation de fréquentation et que tout soit mis en œuvre pour réussir les examens.
C’est dans ce contexte général que nous avons fait appel à la Fondation Roi Baudouin pour organiser un teambuilding et accentuer les supervisions. Dans le social, on insiste énormément sur les supervisions d’équipes. Il est parfois nécessaire d’aller en supervision individuelle pour préparer une supervision d’équipe, ce qui évite bien de déboires. Certains viennent parfois en supervision d’équipe avec des difficultés personnelles qui parasitent la réunion.
Concrètement, toutes les équipes vont partir en supervision d’équipe et auront droit à des supervisions individuelles. Le personnel est composé de 48 ETP (équivalents temps plein). A travers ce projet, l’objectif est de continuer à faire la promotion des formations. C’est aussi une façon de sortir du Covid-19 et de se reprojeter dans une carrière professionnelle. J’ai aussi soumis la possibilité au personnel de rencontrer des équipes mobiles pour pouvoir parler de leurs difficultés par rapport à la crise sanitaire, à l’isolement, à l’enfermement que certains ont vécu.
Au-delà des supervisions, nous allons faire un teambuilding le vendredi 16 septembre. Nous allons réunir toute l’institution et les bénévoles pour passer une journée à Durbuy. Au programme : jeu coopératif, diner tous ensemble et quartier libre l’après-midi. L’idée c’est de partir ensemble et de revenir ensemble. Puisque finalement ce Covid-19, nous l’avons commencé ensemble, nous l’avons traversé ensemble et nous en sommes sortis ensemble après les différentes vagues successives.
"Partir quelques jours en dehors de son association, c’est toujours important"
MonASBL.be : Avant le Covid-19, l’ASBL Trempoline s’inscrivait déjà dans des démarches en faveur du bien-être de son personnel…
Natacha Delmotte : L’appel à projets, pour nous, c’est en effet une continuité par rapport à ce que nous mettons en place au sein de l’association. J’ai travaillé pendant 20 ans sur le terrain à Trempoline avant de devenir directrice et j’ai toujours été considérée de manière correcte. J’ai toujours eu la volonté de poursuivre dans cette voie.
Bien sûr, nous n’avons pas attendu le Covid-19 pour nous soucier du bien-être au travail de nos collaborateurs. Cette préoccupation se traduit concrètement à travers différentes initiatives.
Nous avons un comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) qui se réunit une fois par mois. Il comprend 12 membres qui représentent tous les secteurs/services de l’institution. Nous passons en revue toutes les demandes relevant du bien-être au travail et de la sécurité.
Dans le cadre de l’intervention de notre conseiller en charge de la prévention au travail et au bien-être, nous avons un processus de prévention du burn-out, depuis janvier 2020. Le travailleur a l’occasion de pouvoir se présenter à la direction générale accompagné de la personne de son choix. Nous mettons à disposition la somme de l’équivalent de 5 supervisions. La seule condition, c’est que la structure ou le professionnel qui est retenu soit spécialisé dans la prise en charge du burn out. Au-delà du conseiller en prévention, il y a deux personnes de confiance qui sont désignées pour le harcèlement moral et sexuel.
Par ailleurs, Trempoline bénéficie de bourses de voyage (Erasmus) pour visiter d’autres structures européennes, ce qui permet aux travailleurs de sortir de l’institution. Je pense que partir quelques jours en dehors de son association, c’est toujours important. Nous avons le projet d’ailleurs de rendre la formation continue obligatoire. Pour éviter de vivre en vase clos. Certains travailleurs n’ont connu que Trempoline comme institution. Or, c’est essentiel d’ouvrir son horizon.
MonASBL.be : Un mot sur les projets futurs en faveur du bien-être du personnel ?
Natacha Delmotte : A la prochaine réunion générale du personnel, en novembre, je pense à inviter Florence Pire, une sociologue systémicienne qui est aussi improvisatrice et clown. J’ai suivi un atelier qu’elle animait et ça m’avait beaucoup plu. Grâce à son intervention, je voudrais que chaque travailleur retrouve le clown qui est en lui pour lui permettre d’insuffler un peu de légèreté dans son travail. La situation a été compliquée au sein de l’institution, nous en avons besoin.
Lina Fiandaca
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